Les corps engagés : une approche anthropologique des modes informels de la transmission du théâtre dans le cadre d’un partenariat enseignant-artiste en lycée

Marie-Pierre Chopin & Léa Vigneron

Citer cet article

Chopin, M.-P. & Vigneron, L. (2015). Les corps engagés : une approche anthropologique des modes informels de la transmission du théâtre dans le cadre d’un partenariat enseignant-artiste en lycée. p-e-r-f-o-r-m-a-n-c-e, 2.


Résumé

Si les enjeux corporels de l’enseignement du théâtre en milieu scolaire sont largement mis en avant par la littérature sur la question, plus rares sont les travaux qui, dans le champ des sciences humaines et sociales et de l’éducation, se consacrent réellement à l’étude des conditions pratiques de ces transmissions. Qu’en est-il de leurs logiques, de leurs moyens mais aussi des obstacles qui peuvent entraver leur bonne mise en œuvre? Une cadre d’analyse particulier, baptisé anthropo-didactique, permettra d’aborder cette question à partir d’un travail de terrain portant sur des enseignements du théâtre dans un lycée de la région de Bordeaux. Fondée sur la centralité épistémique du corps dans l’enseignement dramatique dans le cadre d’un partenariat artiste-enseignant en classe de lycée, l’étude propose d’examiner les modes, y compris informels, par lesquels les situations aménagées par un binôme artiste-enseignant “engagent” effectivement le corps. Il ne s’agit donc pas de focaliser l’attention sur les types d’intentions ni d’exercices proposés pour enseigner le théâtre, mais plutôt de contribuer à l’étude des contextes tacitement construits (et souvent non intentionnels) assurant la diffusion de la pratique théâtrale dans ce cadre scolaire, en montrant la manière dont les corps y sont engagés, à la fois au sens des moyens (les corps sont des vecteurs pour l’enseignement) et des finalités (l’enseignement vise la mise en action du corps).

Mots-clefs

Anthropo-didactique, corps, transmission, théâtre, formel-informel.


Si les enjeux corporels de l’enseignement du théâtre sont largement mis en avant par la littérature spécialisée (Bernard 1995 ; Lecoq 1997), ils sont aussi placés au fondement des luttes éducatives pour l’introduction des arts à l’école, notamment dans le sillon de l’éducation nouvelle du début du 20ème siècle[1]. Quelques cent années plus tard, tout se passe encore comme si, par l’intermédiaire de la danse ou du théâtre, le corps si longtemps “redressé” par le carcan scolaire (Vigarello 2004 [1978]) trouvait un moyen de (re)conquête du territoire de l’école, un lieu d’affirmation de sa dimension propre et fondamentale pour les sujets de l’éducation.

L’étude que nous présentons se fonde sur cette centralité épistémique du corps dans l’enseignement dramatique dans le cadre d’un partenariat artiste-enseignant en classe de lycée. Elle propose d’examiner les modes, y compris informels, par lesquels les situations aménagées par le binôme artiste-enseignant “engagent” effectivement le corps. Il ne s’agira donc pas de focaliser l’attention sur les types d’intentions ni d’exercices proposés pour enseigner le théâtre, mais plutôt de contribuer à l’étude des contextes tacitement construits (et souvent non intentionnels) assurant la diffusion de la pratique théâtrale dans ce cadre scolaire, en montrant la manière dont les corps y sont engagés, à la fois au sens des moyens (les corps sont des vecteurs pour l’enseignement) et des finalités (l’enseignement vise la mise en action du corps).

Après un positionnement théorique permettant de préciser cette question, nous présenterons plus en détail le terrain choisi pour l’étude[2]. L’analyse, réalisée dans le cadre d’un master recherche en sciences de l’éducation, portera ensuite sur les formes d’engagement des corps observées au cours de deux séquences d’enseignement. Deux aspects seront considérés : celui relatif aux patterns pédagogiques structurant l’avancée des séances, constituant l’ossature formelle des situations engageant le corps des élèves ; et celui lié aux types de régulations réalisées par l’enseignant et l’artiste (l’examen de la répartition des rôles entre les deux protagonistes sera nécessaire à l’étude) pour permettre aux élèves d’ajuster leur pratique aux attendus théâtraux (la place spécifique réellement accordée au corps pourra ainsi être examinée).

A.       Positionnement de la question et cadre théorique : le corps dans les plis de l’informel

« On s’assoit, on marche comme on pense. Il suffit de regarder quelqu’un se déplacer dans la rue pour déterminer sa situation dans la vie. Avec de la pratique et un certain discernement, nous pourrons le situer socialement et économiquement et aurons une petite idée de sa conception de l’existence. Nous jugeons nos semblables à l’agencement et au mouvement de leur structure osseuse bien plus qu’on ne pourrait le croire ».

Mabel E. Todd, Le corps pensant, 2012 [1937], p. 37.

« Le corps se structure dans les plis de l’informel », tel pourrait être le résumé de la citation ci-dessus extraite de l’ouvrage de Todd, référence aujourd’hui incontournable dans le domaine des pratiques somatiques. Si le mouvement d’un homme raconte autant de choses des situations qui sont les siennes dans la vie, c’est d’abord parce que ces situations (ce qu’il fait, pense, etc.) participent en amont à façonner son corps entier : sensoriel, musculaire et même osseux. On pourrait évidemment penser qu’une telle déclaration perd une part de sa validité dans le cadre des pratiques d’enseignement artistique où, qu’il s’agisse de la danse ou du théâtre, le corps devient une finalité consciente, conduisant les transmetteurs à tenter de dissoudre l’opacité des modes de sa transformation. Ce serait oublier que, au-delà de sa spécificité épistémique réelle, l’enseignement du théâtre reste une pratique contextualisée, relevant d’institutions spécifiques dont les modes d’organisation ne peuvent manquer d’exercer leurs effets didactiques. C’est par exemple ce qu’a bien montré Lemêtre (2009) dans son analyse du processus de scolarisation du théâtre marqué en particulier par l’institutionnalisation du premier baccalauréat théâtre en 1989 et les effets de normalisation scolaire qui en découlent. Ainsi, s’il va de soi que, sous une forme lui restant sans doute originale, la transmission du théâtre est elle aussi impactée par la forme scolaire (Vincent 1994), cette étude proposera d’examiner comment ce phénomène influence la manière dont les corps des élèves pourront se retrouver engagés, au plein sens ethnométhodologique du terme (Garfinkel 2007), dans le cours mouvant d’un enseignement qui se déroule. Comment ces corps sont-ils “embarqués” dans le flot de ces actions de transmission ?

L’approche choisie est anthropologique, et plus spécifiquement anthropo-didactique. Ce cadre d’analyse permet l’étude des phénomènes de diffusion des savoirs au croisement de deux champs théoriques à la fois distincts quant à leurs traditions de recherche, mais épistémologiquement compatibles : celui de l’anthropologie post-culturaliste et critique (Bourdieu 1980 ; Bensa 2006 ; etc.) permettant l’analyse des arrière-plans et des contextes dans lesquels se déroule l’enseignement, ainsi que les logiques d’actions (praxiques) mises en œuvre pour son déroulement ; celui de la théorie des situations didactiques (Brousseau 1998) relatif à l’étude des conditions par lesquelles un sujet pourra faire naître ou modifier les rapports qu’il entretient avec un savoir donné, conditions inévitablement dépendantes de la structure propre des pratiques en jeu (c’est-à-dire la nature des savoirs et/ou pratiques à transmettre)[3].

Il s’agira ainsi de mener une approche compréhensive de situations de transmission du théâtre en milieu scolaire et de la manière dont elles engagent le corps en évitant de sélectionner a priori les lieux attendus de cet engagement. Pour être plus claires, nous ferons le pari que les espaces officiellement dévolus au travail sur le corps dans les moments de transmission (les phases d’échauffement par exemple, ou encore celles de jeu), n’épuisent pas l’ensemble des moyens concourant à l’instauration des dispositions corporelles propres à la pratique du théâtre pour les élèves. Ces dernières seront autant le fruit d’un enseignement que celui d’une culture, au sens interactionnel et dynamique du terme (Goffman 1973), que les situations d’enseignement du théâtre à l’école participent à façonner (dans un effort de distanciation plus ou moins important des formes de vie extérieures des élèves).

B.       Présentation du terrain d’étude

Comme nous l’annoncions plus haut, le parti-pris de cette étude a été empirique. L’épreuve du terrain fut une nécessité première du travail. Une enquête a ainsi été entreprise entre janvier 2012 et juin 2013, à hauteur de deux observations hebdomadaires de 3-4 heures chacune. Elle s’est déroulée dans un lycée de la région de Bordeaux fortement impliqué dans l’enseignement du théâtre. Nous le nommerons « lycée Mirabeau ».

Un lycée option théâtre

Le lycée Mirabeau est un lycée de centre-ville, qualifié de favorisé, qui accueille une section théâtre depuis 1990. Pionnier de l’introduction du théâtre en milieu scolaire (au moment de l’ouverture, une seule autre option théâtre existait dans le public dans la même académie, et une seconde dans le privé). Dans les cinq années qui suivirent, trois autres établissements de l’académie rejoignent ce premier groupe. Pendant cette période de mise en place des enseignements, des épreuves pour le baccalauréat sont aménagées, bénéficiant d’un coefficient substantiel (six), tout juste inférieur à celui de la philosophie (sept) pour les classes littéraires[4].

À Mirabeau, enseignants et artistes travaillent ensemble depuis vingt ans[5], ce qui confère à l’établissement et aux situations d’enseignement que nous examinerons un statut particulier. Trois artistes participent aux enseignements : un metteur en scène, un metteur en scène et comédien, et une comédienne faisant également de la mise en scène. Ces intervenants sont présents en principe lors de toutes les séances de pratique, c’est-à-dire quatre heures hebdomadaires en première et terminale d’enseignement obligatoire (l’option dite lourde), trois heures hebdomadaires en seconde et en première et terminale d’enseignement facultatif (l’option facultative). Mais l’implication des artistes dans la section théâtre du lycée semble aller bien au-delà de cette seule participation aux enseignements pratiques. Voilà ce que confiait Odile, l’une des enseignantes de la première heure de la section théâtre au début de la correspondance entretenue avec elle :

 Durant des années, ils [les intervenants] se sont également très largement investis dans le travail théorique (corrigeant même les copies de commentaires de spectacle ou les fameux journaux de bord que nos élèves rédigent – cela leur arrive encore quand par exemple le prof pour des raisons de santé n’a pu accompagner les élèves au spectacle ou lors du baccalauréat quand il faut examiner les journaux de bord des candidats). Ce fonctionnement très solidaire entre prof et intervenant a permis d’éviter ce qui est parfois constaté voire dénoncé dans d’autres structures : la “vedettarisation” de l’artiste. Même si les élèves vouent à l’intervenant la plupart du temps une grande admiration très perceptible, l’implication conjointe dans la conduite du travail pratique – et comme je l’ai dit, aussi, pour une part dans le travail théorique – du prof et de l’artiste contribue à créer une énergie dans laquelle les hiérarchies ont tendance à se diluer.

On l’aura compris, c’est dans un contexte de pratique théâtrale en milieu scolaire bien particulier, et, disons-le clairement favorisé, qu’ont été menées les observations. De telles caractéristiques devront être prises en compte au moment de la présentation des résultats et de leur interprétation. On ajoutera enfin que le temps long de présence sur le terrain (contrastant avec les quelques heures d’enseignement spécifiquement analysées pour cette étude) a été nécessaire à notre intégration progressive auprès des groupes d’élèves, de professeurs et d’artistes impliqués dans ces enseignements (nous reprenons ce point un peu plus loin dans l’article).

Deux classes observées, deux binômes pour l’enseignement

Deux classes ont été observées : l’une de première, l’autre de terminale. Elles sont prises en charge par deux binômes enseignant-intervenant, selon l’organisation suivante :

Tableau 1 – Répartition des binômes enseignant-artiste

Artistes Professeurs
Classe de première Nicole

Metteur en scène dans une troupe locale

Joël

Professeur de mathématiques

Pratique le théâtre en semi-professionnel

Classe de terminale Jean-Marc

Comédien et metteur en scène de sa propre troupe

Odile

Professeur de Lettres

responsable de la section théâtre

Pratique le théâtre en amateur depuis de nombreuses années

Comme l’indique le tableau 1, les deux enseignants de l’étude ont une pratique personnelle du théâtre avérée et reconnue par les artistes intervenant. Cette caractéristique spécifie encore les situations observées ainsi que les rapports entretenus entre chaque binôme et sa classe d’élèves.

Aspects méthodologiques : “saisir” les corps en jeu
a.          Le dilemme des temps et des positions

Dix-huit mois d’observation demeurent, dans le temps de la recherche, une période excessivement courte pour permettre la production de données (alors que la demande sociale, de son côté, souffre généralement de ce délai pourtant incompressible entre le commencement de la recherche et l’élaboration des premiers résultats). Rappelons par exemple que l’un des fondateurs de l’anthropologie culturelle et sociale, Malinowski, préconisait une période d’observation minimale de deux années en immersion complète dans la société étudiée (Malinowski 1989 [1922]). Ici, plusieurs facteurs ont influé sur ce temps de l’observation : celui du cadre scolaire tout d’abord, séquençant les moments d’observations en fonction du calendrier et des plages dédiées à l’enseignement ; celui du cadre de réalisation de cette étude (un master recherche en sciences de l’éducation).

À cette première difficulté, s’en ajoute une seconde, liée à la position d’extériorité du chercheur relativement au fonctionnement des classes-théâtre. L’intégration de l’observateur au sein d’un univers bien réglé, tant du point de vue de la définition de ce qu’il s’y passe que dans la répartition des rôles de chacun, relève d’un processus se prolongeant bien au-delà de l’arrivée sur le terrain de recherche, moment dont les acteurs mesurent rarement le caractère marquant pour le chercheur. Voici ce que nous notions dans les premières pages du journal de terrain, lors du tout premier jour d’observation :

Quelques minutes avant huit heures, des élèves descendent les escaliers en pierres du lycée Mirabeau. Ces derniers mènent à un couloir isolé des autres parties du lycée, offrant l’accès à plusieurs portes. Lorsque j’arrive, quelques jeunes sont adossés aux murs, se regardent dans le miroir des toilettes ou discutent entre eux. Placée à l’entrée du couloir, je remarque une porte noire beaucoup plus grande que les autres sur laquelle quelques affiches de spectacles sont punaisées. La sonnerie retentit et me sort de mon observation : les élèves s’agitent, se demandent où est l’enseignant. Quelques minutes s’écoulent avant que Joël, professeur de mathématiques, n’arrive. Les élèves lui réservent un accueil souriant, presque « familier ». Une fois la porte ouverte, les comportements changent. La réserve que j’avais pu noter chez certains s’évanouit ; dorénavant tous les élèves se parlent, s’apostrophent, s’enlacent. Une impression d’entrer dans un autre monde me saisit. Les élèves observés quelques instants auparavant ne sont plus de simples lycéens. Sur ce, l’artiste entre à son tour, plusieurs la saluent, lui demandent même si elle se porte bien ce matin. On retrouve par-delà cette porte une atmosphère bien particulière : une rupture presque totale avec le monde lycéen habituel. Malgré quelques rappels à l’ordre (emploi du temps, carnets, travail à rendre, sonnerie…), rien ne laisse croire que nous sommes toujours dans le cadre scolaire. Les corps se meuvent dans une nouvelle dynamique.

(Extrait du journal de terrain, le 02/02/2012)

C’est donc une sorte d’enchantement que connaît ici le chercheur arrivant sur le terrain (contrastant en degré, mais pas en nature avec ce que les ethnographes classiques éprouvaient généralement en découvrant leur lieu d’étude[6]). Une part importante du travail a consisté à déconstruire cette dimension magique des phénomènes “aperçus” au profit d’une objectivation de leurs modes de fabrication.

b.         “Attraper” le corps : du journal de terrain à l’utilisation de la vidéo

La question au centre de l’étude, celle des formes d’engagement des corps dans les enseignements en classe-théâtre, a elle aussi imposé ses contraintes sur le type d’étude menée. Parallèlement au travail d’observation ethnographique, des captations vidéo ont été réalisées sur plusieurs séances dans le but de mettre à l’épreuve les données issues de l’observation et/ou d’approfondir les résultats.

Deux séquences d’enseignement ont été analysées. La première correspond à deux séances (de deux heures chacune) de la classe des premières. Elle porte sur un monologue tragique, nouvel objet de travail pour les élèves. La seconde concerne la classe des terminales et s’étale encore sur deux séances (de deux heures encore). Contrairement à la séquence des premières, l’objectif est ici un travail de continuité sur les mises en scène travaillées depuis le début de l’année. C’est Hamlet de Shakespeare qui est choisie car la pièce répond aux attentes et exigences du baccalauréat. Ces quatre séances ainsi filmées (huit heures d’enregistrement) constituent un matériau réduit d’un point de vue de l’empan temporel concerné mais particulièrement dense au regard des phénomènes que nous souhaitions observer, notamment le type de régulations pédagogiques réalisées par l’enseignant et l’artiste durant le processus de transmission. C’est une étude intensive de cet espace qui a été entreprise.

C.       Résultats : les lieux d’engagement du corps

Comme énoncé plus haut, deux catégories de résultats sont présentées. La première porte sur la structuration temporelle des phases d’engagement du corps dans les leçons observées. La seconde concerne la manière dont le binôme enseignant-artiste orchestre l’avancée de la leçon en régulant les comportements des élèves.

Résultats 1 – Patterns pédagogiques et engagements du corps : liaisons vs ruptures temporelles

L’observation ethnographique a rapidement permis d’identifier les lieux où le corps est classiquement sollicité dans les enseignements : les échauffements, les exercices techniques ou thématiques, et les indications de mise en scène de corps (depuis la question des accessoires jusqu’à celle des entrées et sorties de plateau). Si ces trois “lieux du corps” apparaissent spontanément à l’observateur, c’est un autre aspect de leur mise en œuvre que nous avons souhaité faire apparaître ici : leur agencement temporel, en termes de continuité mais aussi de rupture.

Une retranscription intégrale des séquences d’enseignement sous forme de synopsis a permis de repérer ce que nous avons nommé « les temps forts » de chaque séance d’enseignement eu égard à la sollicitation corporelle des élèves. Il s’agissait néanmoins, comme précisé plus haut, de ne pas exclure d’emblée les phénomènes a priori ordinaires, c’est-à-dire non spécifiques de l’enseignement du théâtre stricto sensu (l’arrivée et l’installation des élèves dans la salle-théâtre par exemple). Cinq phases ont ainsi été identifiées dans les séances :

  • Le débriefing – d’ordinaire une séance débute par un débriefing de la séance passée. Parfois cette phase est différée dans le cours. Dans tous les cas, le binôme enseignant-artiste l’utilise pour créer une continuité dans le travail de la classe. Les élèves peuvent se situer dans l’espace et le temps du cours, du projet de la classe. Le binôme y donne également ses consignes, fait des annonces et commentaires à l’ensemble de la classe, constituant ainsi le collectif.
  • Les exercices d’échauffement – La suite du cours est généralement caractérisée par un échauffement. Mené par l’enseignant ou par l’artiste (parfois les deux, comme c’est le cas pour la classe de terminale), il prépare logiquement sur le plan du contenu (type de travail à venir) ou simplement pédagogique (complicité, dynamisme, écoute…) les autres phases du cours.
  • Le jeu – La troisième phase est le cœur de la séance d’enseignement. En effet, elle met en scène le point essentiel travaillé dans le cours. Elle se déroule en principe devant l’ensemble de la classe, ce qui permet de faire un point collectif sur le travail en cours. Tout le monde a le droit à la parole, et à la critique. Cette phase se focalise sur les émotions, sensations et attitudes expérimentées par les élèves lors d’exercices un peu plus tôt dans le cours. Ainsi, la phase d’échauffement nourrit cette phase de jeu. Cet espace théâtral fait appel aux notions corporelles telles que l’occupation de l’espace, le travail du comportement, des attitudes, ainsi qu’aux notions sensorielles (ouïe, vue, toucher), le placement de la voix, l’énonciation, Cette étape du cours met donc en scène les savoirs fondamentaux pour le comédien.
  • Le travail approfondi ou en groupe – Après une phase d’exposition du travail d’expression devant l’ensemble de la classe, le binôme enseignant-artiste divise généralement l’effectif en plusieurs groupes afin de cibler les difficultés et facilités de chacun. Ces groupes sont en principe les mêmes que dans la phase de jeu : un petit groupe d’élèves met alors en scène un passage de la pièce de théâtre. Si plusieurs mettent en scène le même passage, ou deux passages qui se suivent, alors ils travaillent ensemble.
  • La clôture de la séance – Elle peut se réaliser de différentes manières. Si la sonnerie n’a pas d’importance pendant la durée de la séance (les pauses sont indépendantes du temps scolaire), à son terme, c’est elle qui ramène tout le monde dans le temps du lycée. Pendant ces phases de clôture, il est fréquent qu’enseignants et/ou artistes diffusent auprès des élèves des informations relatives aux spectacles se jouant actuellement dans les différents théâtres alentour, connectant explicitement ces derniers avec des pratiques théâtrale non scolaires.

Sans surprise, le temps didactique des deux classes-théâtre s’organise selon des patterns relativement stables[1]. Ces patterns sont sous-tendus par un travail de mise en écho temporelle entre les différentes phases. La préparation physique de l’échauffement est ainsi classiquement liée aux contenus en jeu dans les phases suivantes, de même que phases de jeu et d’approfondissement sont associées entre elles. Plutôt que d’insister sur ces liaisons intra-temporelles et sur leur effet fondamental sur la construction d’un temps didactique continu et partagé (Chopin 2011, 2012), nous présenterons ici ce qui apparaît moins souvent dans les comptes-rendus d’analyse de séquence, à savoir l’importance des ruptures qui structurent aussi ce temps didactique particulier pour l’enseignement du théâtre.

Par rupture, nous entendrons ce qui permettra de séparer le temps de la formation en théâtre des autres temps du jeu scolaire. Si tout enseignement (en mathématiques, langues ou autre) établit toujours son autonomie en revendiquant sa spécificité temporelle et notionnelle au sein de l’institution didactique plus large (avec le concours de l’emploi du temps formalisant le jeu d’isolation entre les disciplines), les observations de l’enseignement du théâtre montrent que les ruptures d’avec l’ordre scolaire non théâtral s’opèrent ici sur un mode parfois particulièrement contrevenant, c’est-à-dire enfreignant les règles (au sens de la répartition des responsabilités de chacun notamment) généralement en vigueur dans le jeu scolaire. Deux exemples seront présentés, à partir d’extraits du journal de terrain.

Le premier se déroule au moment de l’entrée dans la salle de théâtre, et rend compte d’une répartition du travail peu attendue au sein de l’espace scolaire entre le groupe d’élèves et le binôme enseignant-artiste.

Notre poussière, notre ménage

Ce matin, Odile, l’enseignante des terminales, ouvre la porte de la salle théâtre. Les élèves s’engouffrent et commencent ainsi leurs rituels. Des discussions continuent ou débutent, sur des sujets variés, les élèves posent leurs sacs et chaussures sur les gradins. Ils constatent que la salle est poussiéreuse et mal rangée : tous s’affairent, l’un prend un balai, l’autre range les chaises. Pendant ce temps le professeur et l’artiste discutent de la mise en marche du cours.

(Extrait du journal de terrain, le 17/01/2012).

Il n’est pas déraisonnable d’avancer que peu de situations scolaires fonctionnent sur ce type de répartition des responsabilités entre enseignant et élèves, où les premiers peuvent dévoluer aux seconds une part aussi active dans l’aménagement des conditions de possibilité matérielles de l’enseignement (ici le rangement de la salle). Loin de chercher à célébrer ce que l’on pourrait reconnaître comme une marque d’autonomie ou de motivation des élèves, nous soulignerons l’effet produit par l’instauration de ce type de pratique, non orthodoxe dans l’univers scolaire, en termes de renforcement collectif d’un ordre d’action spécifique à l’enseignement du théâtre dans ces classes, permettant d’établir l’unité inaugurale du groupe par le double jeu de la distinction/appropriation du lieu prévu pour l’enseignement théâtral.

D’autres formes de distinction d’avec les modes didactiques d’agir en vigueur en dehors du cours de théâtre apparaissent de manière régulière dans les séquences observées, co-construites par l’ensemble des protagonistes, enseignant, artiste et élèves. Celle que nous présentons maintenant débute par la mise à l’écart délibérée de l’enseignant, Joël, qui part s’installer sur les gradins d’où il peut observer la scène, au moment où ses élèves en pleine phase de jeu sont en train de passer à côté des objectifs visés pour la séance. Le professeur, Joël, en est bien conscient :

Sortir du jeu didactique / sortir de ses gonds : un switch utile des pratiques légitimes

« Moi, tu vois, je préfère être là [assis dans les gradins, à observer de loin]. C’est maintenant que ça m’amuse », nous confie Joël à voix basse dans les gradins. Pendant ce temps, ses élèves jouent une scène. L’artiste non plus n’est pas satisfaite de leur prestation, et la critique tombe, brutale : « Il faut être sincère sinon vous n’avez rien à faire sur un plateau ! Et c’est lent, c’est chiant tellement que c’est lent […]. C’est un feu d’artifices pas une maison de retraite ». Les élèves vont se rassoir, personne n’ose plus dire un mot : « On en profite pour faire une pause », assène enfin la comédienne, tranchante.

(Extrait du journal de terrain, le 2/02/2012).

C’est bien un mode de rapport pédagogique tout à fait singulier que permet ici l’organisation partenariale (offrant la possibilité au duo enseignant-artiste de jongler entre plusieurs types de légitimités dans les modes relationnels à l’œuvre pour les élèves) et matérielle (du fait de la possibilité physique pour l’enseignant de se placer en situation de spectateur). Là encore, la rupture est flagrante d’avec l’ordre scolaire extérieur à la classe-théâtre où le type de mécontentement exprimé par le « détenteur du savoir » s’autorise rarement une telle radicalité, tenu par un contrat didactique (Sarrazy 1995) dont il s’agit, sans possibilité aucune de relai avec un partenaire, de préserver la viabilité. Il s’ensuit pour autant, et dans la classe observée, une cohésion particulièrement renforcée pour le groupe de lycéens.

S’ils pourraient en apparence nous éloigner de la question du corps et de sa transformation par le jeu théâtral, de tels développements conduisent en réalité à marquer le caractère que nous qualifierons de « total », en référence à Mauss (1973), des faits didactiques dans l’enseignement du théâtre (sous les formes bien évidemment spécifiques observées pour cette étude). L’engagement corporel est d’autant plus manifeste pour ces élèves qu’il survient aussi et peut être surtout (au-delà de la contribution des exercices spécifiquement destinés aux appropriations corporelles) comme une conséquence de leur engagement complet (total) au sein d’une culture trouvant son ressort essentiel dans la rupture introduite d’avec les autres espaces pédagogiques du lycée. L’engagement du corps des élèves dans le jeu théâtral est ainsi fondamentalement lié à cette trame pédagogique articulant situations formelles et informelles façonnant de concert les rapports que les élèves pourront entretenir avec le théâtre, modes d’action spécifiques que la théorie des situations didactiques reconnaît par ailleurs comme de véritables connaissances (Rouchier 1996).

Résultats 2 – Étude des formes de régulation dans le cours de l’enseignement

Pour le second volet de l’analyse, nous souhaitions mener plus loin l’étude des modes par lesquels les élèves sont engagés dans la pratique théâtrale. Pour ce faire, le regard a été resserré sur les types de milieux, au sens de Brousseau (1988), en jeu dans ces enseignements. Sans prétendre embrasser la totalité de ces milieux (ceci obligerait à descendre vers un niveau d’analyse très fin et à abandonner la perspective diachronique pour l’instant utile à l’étude[2]), l’intérêt s’est porté vers l’un des éléments clefs de l’aménagement de ce milieu : les régulations opérées par l’enseignant et l’artiste à propos des comportements des élèves (propositions scéniques, interventions spontanées, etc.). Partant de ce que le théâtre repose pour une large part sur ce travail de façonnage du matériau premier, une telle approche offre un niveau d’analyse heuristique des situations d’enseignement proposées sur l’ensemble d’une leçon. Notons enfin que, dans la lignée des résultats précédents, l’analyse a été orientée de sorte à permettre de faire apparaître  (si jamais elles existent) les conditions particulières offertes par le partenariat enseignant-artiste au sein des formes de transmission observées. La distinction des types de régulations mise en œuvre en fonction du statut d’enseignant ou d’intervenant a ainsi été systématisée.

c.          Identification et codage des régulations

C’est à partir du travail d’observation ethnographique que nous avons identifié les différentes formes d’interactions (souvent verbales et accompagnées de gestes) entre professeur et/ou artiste (certaines étaient faites d’une seule voix) d’un côté, et élèves de l’autre. Ces interactions ont d’abord été caractérisées en fonction de leur objet. Ainsi à la question « sur quoi portent-elles ? », quatre types de réponse ont été donnés : 1/ le positionnement physique de l’élève ; 2/ le travail de la sensation ; 3/ celui de la mise en scène ; 4/ le travail sur le texte. Enfin, une cinquième catégorie a concerné les régulations instrumentales (dédiées à la préparation du matériel pour le jeu par exemple).

Dans un second temps, les régulations ont été caractérisées en fonction de leur forme dans le jeu interactif. Deux modalités ont été retenues, toujours sur la base des observations ethnographiques réalisées : 1/ les régulations de type maïeutique (MAI) où le professeur (ou l’artiste) cherche à faire advenir, par le jeu de questionnements et/ou indications successives, le comportement attendu de l’élève ; 2/ les régulations ostensives (OST), où il s’agit avant tout de montrer à l’élève ce que l’on attend de lui.

d.         Comment se distribuent les types de régulations dans les séquences observées ?

À partir de la retranscription des huit heures d’enregistrement vidéo, 196 régulations ont été répertoriées sur l’ensemble des quatre séances. Elles se distribuent comme suit du point de vue de leur objet :

Tableau 2 – Distribution des types de régulations en fonction de leur objet sur les 2 séquences (N=196)

Types de régulation N %
1.           Positionnement physique (PHY) 38 19.4
2.           Travail des sensations (SEN) 29 14.8
3.           Mise en scène (MES) 49 25
4.           Travail sur le texte (TEX) 40 20.4
5.           Instrumentale (INS) 40 20.4
Total 196 100

Si les régulations opérées sur les sensations sont sensiblement moins présentes que les autres, le chi-deux d’ajustement montre que les cinq types ne diffèrent pas de manière significative en proportion (χ= 5.173, n.s, p = 0.27). La pertinence de la typologie réalisée à partir des données ethnographiques (qui avait conduit à distinguer les cinq modalités retenues) est ainsi attestée par l’objectivation plus serrée des données empiriques.

Les résultats que nous rapporterons maintenant permettront d’aller plus loin sur la manière dont les deux partenaires de la transmission, enseignant et artiste, génèrent par leurs régulations des milieux didactiques structurant les modes d’engagement du corps des élèves.

e.          Une fréquence comparable de régulation entre enseignants et artistes

Les résultats montrent d’abord que la part prise dans l’activité de régulation par les enseignants et les artistes ne diffère ni en fréquence (χ2 = 1.695, n.s, p = 0.19)[3], ni en volume (comme le fait apparaître le test de Mann & Whitney réalisé à partir de la comparaison des nombres de caractères composant chaque régulation retranscrite pour enseignants et artistes). Ainsi, dans le cadre des séquences observées où, rappelons-le, les partenariats sont établis de longue date, la pratique de régulation des comportements et/ou propositions des élèves s’équilibre entre enseignants et artistes. Qu’en est-il à présent de la forme de ces régulations ?

f.            Enseignants et artistes ne régulent pas de la même façon

Une première comparaison entre régulations de forme maïeutique (MAI) et ostensive (OST) laisse apparaître une tendance plus importante des professeurs à utiliser l’ostension (χ= 9.223, s, p=0.002). C’est ce que montre le tableau suivant, rapportant le tri croisé entre forme de la régulation et auteur de la régulation.

Tableau 3 – Distribution des formes de régulations sur l’ensemble de la séquence (N = 119)[4]

  Forme de la régulation  
Auteur de la régulation Maïeutique Ostension Total
Professeur 23 45 68
Artiste 27 24 51
Total 50 69 119

Il convient toutefois d’être prudent quant à l’interprétation à donner à de tels résultats. Celle-ci dépendra en effet de la nature des domaines de régulation incombant respectivement aux enseignants et aux artistes. Ce sont les derniers résultats que nous présenterons.

g.         Enseignants et artistes n’interviennent pas sur les mêmes domaines

Le dernier tri-croisé présente la répartition des types de régulation en fonction de leur auteur, professeur ou artiste. Il montre clairement la spécificité des profils de régulations entre les deux protagonistes (χ2 = 59.88, s, p < 0.0001) :

Tableau 4 – Distribution des types de régulation en fonction de l’auteur (N=119)

Type de régulation
1. Positionnement physique

(PHY)

2. Travail des sensations (SEN) 3. Mise en scène   (MES) 4. Travail sur le texte

(TEX)

5. Régulations instrumentales

(INS)

Total
Professeur 9 11 23 27 14 84
Artiste 18 11 18 6 14 67

Légende : les chiffres soulignés renvoient aux contributions au chi-deux.

En montrant que les professeurs ont plus particulièrement en charge les aspects textuels de l’enseignement quand les artistes ont plus tendanciellement affaire aux questions du positionnement physique des élèves, le résultat précédent établissant la supériorité de la forme ostensive de régulation de la part du professeur peut être reconsidéré. En effet, il devient difficile de séparer sur la base de ces données la question de la forme de régulation envisagée avec celle de son objet : les enseignants régulent-ils de manière plus ostensive que les artistes ? Ou bien peut-on penser que c’est la répartition des domaines d’intervention au cours de la séquence (artiste et enseignant ne prennent pas en charge les mêmes volets de l’enseignement) qui induit pour l’un comme pour l’autre une forme de régulation spécifique, possiblement liée à la spécificité des savoirs en jeu dans chaque cas ? Si en l’état de nos données il ne sera pas possible d’opter pour l’une ou l’autre des explications, ces derniers résultats restent tout à fait profitables pour la question des formes d’engagement du corps au centre de nos préoccupations. C’est sur cette dernière ouverture que nous conclurons l’étude.

D.        Ouverture conclusive

Il n’est pas anodin que les deux modalités discriminant le plus fortement les positions de l’enseignant et l’artiste dans la transmission théâtrale soient celle du texte d’un côté (dévolue à l’enseignant) et du positionnement physique de l’autre (dévolue à l’artiste), avec un renforcement de l’opposition porté par les formes des modes de régulation à l’œuvre (ostensives pour le professeur vs maïeutique pour l’artiste). L’explication la plus spontanée à de tels résultats renverrait à la différence de culture professionnelle entre chaque partenaire : l’une plus largement tournée vers le savoir scriptural (à énoncer), l’autre vers la pratique (à déployer). Un examen plus attentif conduit pourtant à relier cette interprétation à d’autres types d’arrière-plan, notamment artistiques, susceptibles de se glisser silencieusement, en les épousant autant qu’en les renforçant, dans les interstices d’une telle structuration de la pratique partenariale de la transmission du théâtre. Car, plus que d’être ici une sorte d’inducteur d’une dissociation corps/texte dans la pratique théâtrale propre au monde scolaire, ne pourrait-on pas imaginer que le partenariat soit davantage un révélateur d’une structuration particulière du champ dramatique lui-même, où le corps et le texte ne seraient reliés qu’après être originellement séparés ?

Entre le mot et le corps, entre la puissance et l’acte, entre le songe et le réel, il ne suffit pas de dire que le personnage de théâtre est écartelé. Cette tension constitue très exactement l’originalité de son état. Ecrire pour la scène, c’est d’abord jouer de la dialectique qu’elle suppose et en prévoir les articulations efficaces […]. (Abirached 1994, 7).

Il va de soi que la distinction inaugurale entre œuvre et corporéité ne prend pas les mêmes formes selon le type de champ artistique donné (Mili et al. 2013). Dans celui de la danse en particulier, où l’œuvre est d’emblée moins attachée au texte, les dialectiques corps-œuvre ne prendront pas les mêmes formes et ne se manifesteront pas de la même façon dans les situations de transmission. Peut-être d’ailleurs que la pratique du partenariat en danse trouve en cette indissociabilité originelle de l’œuvre et du corps l’une des explications possibles à ses difficultés de mise en œuvre, rendant en effet plus complexe l’identification de rôles respectifs de chaque partenaire.

C’est ainsi une ouverture prudente que nous pourrions proposer à l’issue de cette étude des modes informels de la transmission du théâtre dans le cadre de partenariats en lycée. Alors que, pour des raisons politiques évidentes, l’univocité des arts est souvent célébrée dans la revendication d’une place redonnée au corps dans l’enceinte scolaire, la spécification des formes concrètes d’engagement du corps à laquelle cette étude a modestement contribué – par la mise en exergue de l’effet de logiques structurelles (pédagogiques ou artistiques) sur l’instauration des conditions de l’apprentissage pour les élèves – engage à une réflexion collective sur la façon de positionner le curseur au niveau le plus opportun entre discours général sur la place des arts à l’école et variabilité irréductible des pratiques effectives tant sur le plan des types de dispositifs que sur celui des arrière-plans pédagogiques et artistiques s’immisçant eux aussi dans les plis de l’informel. Avec ces informels ainsi recomposés dans leur variabilité, ce sont autant de directions possibles qui se redonnent à voir pour engager les corps.


Notes

[1] La stabilité a été éprouvée par le travail ethnographique.

[2] C’est bien en effet sous l’aspect dynamique et relationnel que nous souhaitons appréhender les cultures pédagogiques et théâtrales en train de se construire par et pour l’engagement des corps.

[3] Même si on note une légère tendance à la surreprésentation pour les enseignants, elle n’est pas statistiquement significative à des seuils acceptables.

[4] Pour ce calcul, on notera que le nombre de régulations étudiées n’est plus que de 119 (au lieu de 198). Ceci s’explique par le choix de ne pas considérer l’une des 4 séances observées du fait de l’absence imprévue de l’artiste à cette occasion. Dès lors, les pratiques de l’enseignant restant seul avec sa classe la quasi-totalité de la séance ne pouvaient plus être fidèles à ce qu’il se serait effectivement passé si l’artiste avait été présente.

[1] Le lecteur pourra se référer sur ce point à l’approche historique de Christiane Page dans sa thèse de doctorat en sciences théâtrales soutenue en 1995 à l’Université Paris 3 (cf. Page 1995).

[2] Concernant la transmission du théâtre et plus globalement des arts dans l’enceinte scolaire, on rappellera l’impact de la variabilité des dispositifs (atelier-théâtre, classe-théâtre, pratique théâtrale dans le cadre d’une discipline donnée, etc.) sur les types d’enseignement dispensés.

[3] Pour une présentation plus détaillée du cadre d’analyse anthropo-didactique cf. Sarrazy (2002) ou Marchive (2006).

[4] Notons que l’examen des modes de construction et d’évolution des modalités de passation de cette épreuve au cours des vingt dernières années mériterait une présentation détaillée incompatible avec le format de l’article. Nous mentionnerons le cas échéant leur influence sur les phénomènes observés présentés dans ce texte.

[5] Par périodes, sur une année ou deux, d’autres artistes ont été introduits dans la structure (toujours choisis par les enseignants à l’exception d’une seule personne proposée par la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Aquitaine (DRAC).

[6] Les écrits de Malinowski ou encore de Lévi-Strauss décrivent fort bien les heurts émotionnels dont sont sujets les ethnographes au moment d’intégrer ces univers totalement inconnus, et spontanément hostiles.


Références

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Biographie de Marie-Pierre Chopin
Biographie de Léa Vigneron