Des fétiches africains aux œuvres s’art Vohou-Vohou
Kignigouoni Touré
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Touré, K. (2019). Des fétiches africains aux œuvres s’art Vohou-Vohou. p-e-r-f-o-r-m-a-n-c-e, 5.
Résumé
L’étude des pratiques de l’Art-thérapie, de la musicothérapie et autres phénomènes relevant du sacré (fétiches) sont des domaines qui restent encore à la traine des milieux Universitaires en Côte d’Ivoire. C’est l’occasion unique pour nous de démontrer leur importance et leur rôle dans les sociétés traditionnelles en général et modernes ne particulier, surtout dans les Arts contemporains ivoiriens avec l’avènement du Vohou-Vohou. En effet, ces pratiques existent depuis la nuit des temps. Mais elles sont toujours restées l’apanage d’une élite transcendantale, d’un cercle d’initiés fermé. Et pourtant, elles sont généralement d’intérêt public et empreintes de connaissances multisectorielles pour l’équilibre, le bien être social, et l’épanouissement de l’homme dans toutes ces dimensions. Notre regard d’universitaire, pourrait sans nul doute permettre une éclosion et une diffusion plus large d’un pan de ces savoirs, savoirs être, savoirs faire trop longtemps restés dans les arcanes des Dieux. La tâche à nous confier demeure osée. Mais elle inaugure des perspectives intéressantes au niveau de l’Art thérapie et de la musicothérapie, une approche scientifique à introduire dans nos universités africaines à l’instar des pays occidentaux, pour une prise en compte effective et efficiente de ce patrimoine africain riche en promesses, menacé de disparition certaine eu égard aux pesanteurs persistantes de la modernité aveugle et des religions importées.
Mots clés
Art-thérapie, Musicothérapie, Fétiche, Sacré, Art traditionnel, Art contemporain, Vohou-Vohou, Modernité, Animisme, Religion
INTRODUCTION
En Afrique, quelque soient les peuples, les cultures, les époques, les fétiches ont toujours été présents et les témoins de l’histoire. Nés des pratiques artistiques traditionnelles, les fétiches occupent une place prépondérante dans nos sociétés modernes. Ils exercent et continuent d’exercer depuis les temps mémoriaux une telle fascination sur l’esprit humain que l’Africain n’a eu de cesse de créer ou d’intégrer des instruments nouveaux, de les perfectionner à la plus parfaite expression. Par exemple lors de la crise militaro-politique de la Côte d’Ivoire, nous avons été édifiés par cette résurgence des fétiches : gilet-anti-balles ou autres.
En effet, un fétiche est une création humaine, d’Abord artistique puis chargée de formes pensées, d’un pouvoir magique. Ainsi le fétiche peut comporter en lui deux dimensions :
- La dimension humaniste et spiritualiste relative à la protection et à la santé, le bien ;
- La dimension satanique dominée par les pratiques de sorcellerie, le mal.
C’est la loi de la dualité qui s’exprime ici. C’est cet univers complexe et mystérieux assorti d’interdits car relevant du sacré que nous tenterons d’aborder avec beaucoup de lucidité et d’appréhension sans enfreindre aux règles traditionnelles qui régissent ce domaine. Il s’agit : des masques, de la statuaire, des danses sacrées, des amulettes, de la nature (eaux, montagnes, arbres, rochers, cailloux etc.)
Il s’agira donc, pour nous de dire ce qu’il y a à dire et de taire ce qu’il faut taire. Même initié, l’on ne peut trahir la cause des ancêtres, au risque de subir la grande sentence : la mort.
Le fétiche ne fait qu’un avec la vie aussi bien dans l’ordre cosmique que dans l’ordre social africain.
Les fétiches sont des pratiques de rituels liés à des croyances en rapport avec des forces surnaturelles immanentes à la nature. Pour Marcel Mauss :
« Est magique tout rite qui ne fait pas partie d’un culte organisé, qui a affaire avec le secret, le mystérieux, le prohibé. Préventive, active, maléfique ou bénéfique, curative ou fautive, la magie a de multiples visages. Elle produit, dans tous les cas, des phénomènes inaccessibles à l’explication causale. »[1]
L’intérêt des Africains pour le fétiche n’est ni un comportement spécifique ni un cas isolé dans l’histoire de l’humanité. De tout temps comme nous l’avons spécifié plus haut, l’homme a manifesté le désir ardent de communiquer, de communier avec le très haut.
Ainsi, il a cherché à trouver dans la nature, ou en les fabriquant lui-même, des moyens pour l’aider à traduire sa pensée, à rendre perceptible ce qui ne l’est pas. Seulement, cette utilisation universelle du fétiche n’a pas suscité chez tous les peuples du monde le même engouement ni la même ferveur.
Les fétiches sont l’objet de recherches poussées au plan ésotérique. Ils constituent l’essence de la pensée philosophique, sociologique et de la spiritualité africaine. Les répertoires des fétiches sont constamment revus et enrichis au fur et à mesure des besoins inhérents. C’est un monde à part. Les peuples africains accordent essentiellement la priorité à leur fonction et à leur efficacité dans la vie sociale et religieuse. Le domaine de l’esthétique n’est pas pour autant occulté. Il s’harmonise avec la fonctionnalité de l’objet et de sa finalité. Le fétiche africain ayant en lui-même une dimension pluridisciplinaire et artistique va intéresser particulièrement le monde des arts. Aussi, profitant des indépendances africaines les artistes vont jouer leur partition en forgeant une logique, celle de la prise en compte de leur patrimoine ancestral culturel notamment les fétiches, les masques, les danses, la statuaire, etc., et ce à travers un mouvement artistique le Vohou –Vohou.
Grâce à leur ingéniosité et à leur intelligibilité, le Vohou- Vohou connait une entrée fulgurante sur la scène de l’art actuel africain. En effet, personne ne s’attendait de sitôt après le coup de massue de la colonisation à une telle apparition. On n’a jamais pensée qu’un art pouvait naître de ses cendres avec une telle originalité, des œuvres d’une belle facture très riche en promesses. Comme le témoigne le professeur Yankel, lors de l’exposition des jeunes peintres africains au Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie du 12 novembre 1985 au 13 janvier 1986 :
« Cette exposition sera une surprise pour certains visiteurs qui s’imaginaient que l’Afrique avait définitivement exprimé son génie artistique dans la fameuse statuaire nègre. Il est vrai que les églises de toutes obédiences confondues s’étaient acharnée au 19e siècle à détruire les chefs-d’œuvre d’inspiration animiste et qu’il ne subsistait plus en Afrique que certains artisanats traditionnels pour touristes. Mais, l’héritage a été transmis à une nouvelle génération de créateurs qui se sont révélés au cours des dernières décades dans plusieurs pays d’Afrique noire : Sénégal, Gabon, Cameroun, Côte d’Ivoire etc. De leur culture ancestrale, ces artistes ont réussi la gageure à notre époque d’inventer de toutes pièces un Art Moderne profondément original. Le génie Africain ne demandait qu’à renaître et je souhaite que cette première exposition soit le prélude à une manifestation de plus vaste envergure. »[2]
A ces œuvres d’Art Vohou-Vohou très apparentées aux fétiches africains dont d’ailleurs elles en sont une émanation imminente, il ne reste que la phase rituellique. En effet, ce pouvoir magique peut être conféré à l’œuvre lors d’un rituel simple ou complexe suivant l’importance de l’acte à poser ou du résultat attendu. L’œuvre ainsi missionnée peut agir directement sur son environnement ou sur l’être total, en bien comme en mal selon le désir du commanditaire.
Outre cette forme de Vohou-Vohou, nous avons le Vohou-Vohou médicinal traditionnel qui est l’assemblage de feuille d’arbres, de racines, d’écorces, des os etc. ou d’autres procédés, en vue d’un traitement de choc, d’une maladie ou d’une conjuration d’un mauvais sort. C’est aussi le Vohou-Vohou magique ou désenvouteur. Il relève du domaine de l’Art Thérapie, d’où son lien évident avec la thématique actuelle : Art et clinique.
Nos recherches s’articuleront autour de deux axes majeurs :
- Univers de l’Art Vohou-Vohou
- Vohou-Vohou ; un Art Thérapeutique séculaire
I/ Univers de l’Art Vohou-Vohou
- Théorisation et conceptualisation du Vohou-Vohou
L’art contemporain en Côte d’Ivoire a connu une nouvelle impulsion avec l’avènement des indépendances des pays Africains et de la création des structures de formation artistique. Ainsi entre 1968 et 1972 a surgi dans toute l’Afrique cette idée panafricaniste « le retour aux sources» prôné par les politiciens et certains intellectuels, comme facteur de prise de conscience des valeurs ancestrales. Et la Côte d’Ivoire n’est pas en reste d’où la naissance du mouvement Vohou-Vohou, une belle identité…
En effet, le terme Vohou-Vohou est lié à une histoire réelle vécue aux Beaux-arts d’Abidjan. Selon des sources bien indiquées, ce mot serait de l’étudiant Jean Bony Guémian en Architecture qui, pour se moquer de ses congénères peintres, leur a lancé cette boutade, cette interjection, cette onomatopée Vohou-Vohou en langue Gouro ethnie du Centre ouest de la Côte d’Ivoire. Vohou- Vohou signifierait donc « n’importe quoi» ou une chose de peu de valeur. A ce terme il est associé aussi la mixture que le guérisseur pose sur un corps malade afin de lui redonner santé et vie.
Le concept Vohou-Vohou, de par son action de diverses libertés, suscite une multitude de définitions au plan artistique.
En effet, le Vohou-Vohou s’adapte, se conforme au contexte dans lequel l’on voudrait bien s’en servir. Ainsi, selon l’artiste Kadjo James Houra, Historien d’Art le Vohou-Vohou doit être considéré avant tout, comme un courant artistique. Les artistes de toutes tendances qui le composent, peuvent nager (pour rester dans la métaphore de la Mer) dans le même sens que lui ou à contrecourant, chacun dans sa propre direction. C’est un concept qui désigne un état d’esprit, une forme d’expression que l’environnement socioculturel ivoirien semble avoir suscité, à un moment donné. Le Vohou-Vohou, au sens le plus large, ne désigne pas simplement un style, mais aussi un mode de perception et de représentation du monde dans toute sa diversité. Il se présente également comme l’expression d’un déchirement et d’une prise de conscience totale de la culture africaine et particulièrement celle de la Côte d’Ivoire. Le Vohou-Vohou est un recours aux sources ancestrales dans une vision adaptée à la contemporanéité. Il est symbole, signe, entrelacs de codes, langage et couleurs, c’est une manière de vivre, de se comporter, de se soigner enfin d’être soi-même. Il se positionne ainsi comme un mouvement d’avant-garde, de postmodernité et d’inter-culturalité qui se veut novateur dans un dialogue permanent entre la tradition et la modernité. Sa caractéristique majeure reste essentiellement la restitution et la continuation du patrimoine culturel et artistique ivoirien en des termes contemporains.
Enfin, le Vohou-Vohou est un laboratoire technique d’alchimie et d’expérimentations scientifiques où œuvrent des initiés de tous les domaines de la société. C’est encore un forum d’échanges culturels, artistiques, de rencontres, de partages et d’union des esprits et des connaissances. Ce faisant, il contribue à l’acquisition du savoir, du savoir être, du savoir-faire, à la maturation parfaite de l’individu pour son épanouissement complet et total. Le Vohou-Vohou s’apparente à cette pensée de Charles Baudelaire. (…….) « Le beau est devenu le mouvant. L’Art puisqu’il le manifeste, doit épouser le mouvement ondoyant de la sensibilité. Ainsi la théorie de l’Art n’est plus bornée ni passéiste ; elle est ouverte sur l’avenir : qui dit romantisme dit Art moderne c’est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspirations vers l’infini, exprimés, par tous les moyens que contiennent les Arts…. Le beau exprime toutes les nuances de l’âme humaine… »[3].
Cette réflexion de Baudelaire s’accorde effectivement avec l’esprit qui sous-tend l’art Vohou-Vohou .Ce qui dénote d’une part le caractère universel de cet Art, puis d’autre part sa concordance avec le passé, dans le présent et vers le futur.
Selon Florence de Méredieu : « Toute œuvre d’art est la résultante de la rencontre de deux facteurs opposés et complémentaires : la matière et la forme. »[4]
Cette pensée concorde non seulement avec l’art africain, mais reste également d’actualité pour les arts plastiques en général.
En effet, la découverte de l’art africain par les artistes de la contemporanéité se situe d’abord à travers des exemples concrets. Malgré l’ignorance des fonctions et du contexte de création de ces objets découverts par certains artistes occidentaux, cela n’a pas empêché ceux-ci d’aborder ses œuvres par leurs formes et leurs matières. Ils venaient ainsi de propulser ces objets d’art africain au panthéon esthétique de l’histoire quasi mondiale de l’art. Dans cette prospective moderniste de rupture avec le passé, différentes avant-gardes artistiques ont trouvé dans les matières et les formes traditionnelles africaines une inspiration qui leur a permis de se démarquer de leur propre tradition d’où les bases de l’apparition d’un art nouveau (à l’image de Picasso avec “Les demoiselles d’Avignon”). Il s’agissait alors de se mettre en quête d’autres cultures, de percer leurs mystères : l’opacité surtout de cette Afrique rendue accessible par l’intermédiaire de ses objets collectés et séduisants. Pour que la modernité envisage cette ouverture, il a fallu qu’elle se trouve dans un état d’incertitude. La rencontre avec les autres cultures constituait une source d’élans créatifs importants avec laquelle il fallait désormais composer. Cette démarche à cette époque s’avérait incontournable pour l’Europe. Ainsi, les artistes modernes africains héritiers de ce système vont étendre leurs champs d’investigation par un enrichissement de leur esprit qui prend en compte les aspects généraux et spécifiques de leur patrimoine. D’où l’action du Vohou-Vohou qui, par la liberté nouvelle de ces images dont la force d’expressivité et de créativité, montre l’infinie particularité de cet art africain contemporain, résultat de deux mondes croisés : Occident/Afrique.
Les Vohou ont en effet trouvé dans les formes, les symboles, les matières des arts traditionnels, une nouvelle façon de mettre en valeur ces dernières, en s’éloignant plus ou moins de leurs significations conventionnelles. Si l’influence des arts traditionnels sur les artistes Vohou n’est pas toujours directe, il semble incontestable que certains des problèmes qu’ils se posent, trouvent en ces productions lointaines des solutions satisfaisantes. Ces artistes Vohou portent un intérêt particulier aux arts du passé. Ce faisant, ils tentent de percer leurs mystères qui sans doute s’enferment dans cette opacité créatrice d’ordre ésotérique. La puissance formelle qui se dégage des œuvres Vohou témoigne de ce que ces dernières ont transcendé de simples soucis d’ordre visuel pour s’accrocher à un art conceptuel. Les Vohou s’intéressent non seulement à l’intégration des symboles et des signes dans les espaces picturaux, mais surtout à l’expressivité des lignes et des formes dans leurs compositions. Et cela constitue un choc pour quiconque contemple ces œuvres Vohou.
Certains cherchent à utiliser les masques, les statuettes et les amulettes comme éléments structurants du décor plus que comme des modèles plastiques. Et c’est en intégrant de tels objets à leurs toiles qu’ils s’approprient, dans un certain sens, une part de leur puissance. D’autres s’intéressent également au mélange des matériaux, critiquant ainsi le rêve d’une totalité harmonieuse et unitaire tant recherchée par l’Occident. Cette nouvelle forme d’art a établi une cohérence unifiante en proposant un art d’une dimension universelle : le Vohou-Vohou.
La découverte des productions Vohou, propose un nouveau répertoire formel dans la création artistique contemporaine. Peu de personnes ont pris au sérieux l’action des Vohou. Et pourtant conscients de ce qu’ils faisaient, ces artistes savaient que le changement était devenu incontournable dans leur esprit d’avant-garde avide de nouvelles expériences. C’est d’ailleurs, ce qui va les pousser à persévérer dans leur quête. Plus que des objets fonctionnels, les arts ivoiriens paraissent être les fruits d’une inventivité nouvelle et inépuisable qui servent de prétexte de créations aux Vohou.
- Des materiaux et objets hétéroclites dans l’art Vohou
L’utilisation des matériaux dans l’art Vohou relève d’une pratique ancestrale, bien connue dans nos tribus. L’objet d’art traditionnel est constitué essentiellement de divers matériaux et objets (bois, plumes, os, feuilles d’arbre, pierre, sable, terre cuite, fer, masques, statuettes, amulettes …)
En effet, l’on utilisait tous les matériaux disponibles qui pouvaient aider au sens. Par exemple, le sculpteur pouvait introduire au niveau de son œuvre tout matériau pouvant donner un nouveau sens à sa création. Ces différentes techniques sont assez répandues en Afrique. Comme l’écrit Florence de Méredieu, la découverte de ces œuvres de cultures autres que celles de l’Occident va entraîner les artistes de la modernité à s’ouvrir à “l’ensemble des matériaux de la quotidienneté.” Ainsi, en Europe, les artistes plasticiens rompent avec leur tradition ; en Afrique, les artistes ont plutôt recours aux sources.
- Mixité et trivialité des matériaux
L’art Vohou, c’est le mélange des matériaux mais aussi leur trivialité, c’est-à-dire un mélange qui peut donner un sens aux œuvres sans exclusivité. Ainsi, par exemple, des dents humaines et d’animaux, des os, du métal, tous ces matériaux peuvent servir à la cause de l’Art Vohou-Vohou. Influencés par ces pratiques ancestrales, certains artistes modernes vont introduire et mélanger quelques matériaux et objets triviaux, inhabituels à leurs œuvres plastiques pour enfin progressivement s’ouvrir – comme nous le voyons aujourd’hui – à tous les matériaux de leur environnement.
Mais la démarche de l’artiste moderne diffère de celle de l’artiste traditionnel : l’artiste traditionnel utilise les matériaux /objets pouvant donner un sens à son travail. Parfois, ils peuvent être utilisés dans leur fonction première. Ainsi, l’artiste traditionnel peut demander au forgeron un collier de métal pour la statue comme il le ferait pour lui-même. Il utilise tout ce qui peut aider à la figuration de l’ancêtre sans arrière-pensée. Or, dans l’art moderne et contemporain, les objets sont plutôt détournés de leur contexte, de leur fonction initiale. Cette utilisation des matériaux triviaux naturels, allant de soi pour les artistes traditionnels devient pour les artistes modernes un sujet de recherche et de réflexion tel que dans l’Art Vohou.
Notons que l’introduction des matériaux quotidiens dans les œuvres d’art n’est pas spécifique au seul courant Vohou-Vohou, c’est un phénomène mondial.
- Vohou-Vohou et le sacré
L’œuvre d’art traditionnelle est une entité qui possède un esprit et donc dégage une “aura” qui est perpétrée par sa fonction rituellique, sans laquelle d’ailleurs l’œuvre n’aurait aucune existence dans la société. C’est cette “aura” qui confère à l’œuvre sa dimension sacrée à travers la pratique du rituel. Que ce soit la statuaire Sénoufo ou les masques, ils trouvent leur fondement, leur justification uniquement dans leur fonction rituelle. Et cela est confirmé par Emile Durkheim :
[…] Les rites servent à distinguer le sacré du profane ou bien à faire pénétrer le sacré dans la vie collective ; et le sacré lui-même est le corps social hypostasié, la force et l’autorité collective représentée par des symboles qui en manifestent la transcendance par rapport aux individus …[5]
Ainsi se pose la question de la notion du sacré :
Étymologiquement, “sacré” s’oppose à “profane”. Sacré désigne ce qui est à la fois séparé et circonscrit (en Latin Sancire : délimiter, entourer, sacraliser et sanctifier), tandis que profane indique ce qui se trouve devant l’enceinte réservée (Pro-fanum).
Il y a donc deux domaines :
– l’un qui est réglé de manière transcendante, hors de portée et capitale, le sacré, interdit parce que fondamental ;
– l’autre, où l’homme a loisir et liberté de penser et d’agir à sa guise.
La vie est constituée par l’équilibre entre ces deux domaines. Par exemple, si le sacré envahissait tout, il s’ensuivrait une sorte de paralysie craintive et de scrupule obsédant. Mais, si par ailleurs, le sacré disparaissait totalement, c’est le profane lui-même qui se sentirait vide et orphelin. Il s’agit donc d’une régulation entre le caractère intense du sacré et le caractère praticable du profane.
La sécularisation et la désacralisation sont l’effet de la vaste “émancipation” des sociétés ivoiriennes faces aux institutions traditionnelles.
Cette émancipation se situe à plusieurs niveaux. D’abord, elle s’opère au niveau économique puis politique. Enfin, dans le domaine culturel, l’avènement d’un État moderne a occasionné la séparation du sacré et du profane qui ont entraîné la laïcisation de l’éducation, l’autonomie de la recherche scientifique et de l’art ainsi que d’une grande part des valeurs individuelles et collectives.
Toutefois, au lieu de parler d’une disparition du sacré nous dirons plutôt qu’il s’agit d’un phénomène de détournement. Les rituels ne sont plus conduits exactement comme par le passé. Nous sommes passés du stade du rituel classique ou traditionnel au stade de la désacralisation, de la démocratisation du rituel ou de l’adaptation du rituel au contexte contemporain.
Au plan plastique, la démarche empruntée par les Vohou originels démontre cet aspect du rituel désacralisé dans l’art Vohou. En effet, les thèmes, les symboles, les signes, le langage qu’ils exploitent, dérivent directement des pratiques mystiques relevant du sacré. Par exemple, Youssouf Bath qui dans ses tableaux, évoque discrètement la sorcellerie, met à nu certaines pratiques obscures. Il offre donc à tout un chacun l’accès à des rituels ancestraux interdits aux communs des mortels. N’est-ce pas une nouvelle forme d’initiation, de communion personnelle, lorsque l’observateur d’un tableau de cet artiste est séduit, attiré par certains symboles évocateurs ?
A ce niveau nous pourrons dire qu’il y a deux sortes de rituels :
– l’artiste face à l’œuvre Vohou qu’il souhaite concevoir en manipulant des outils qui sortent du cadre habituel de la création d’œuvre d’art moderne. L’artiste dispose d’un minimum de capacité de maîtrise dans ce domaine pour appréhender les forces invisibles véhiculées par les codes dont il a la charge de pérenniser. Nous voulons dire que l’artiste lui-même doit avoir fait ou vécu l’initiation d’une manière ou d’une autre. Nous croyons qu’un néophyte ne saurait appréhender une interprétation de ces entrelacs de codes avec cette même sincérité et précision. En effet, maîtrisant le monde mystérieux, l’artiste peut le rendre à sa manière, c’est-à-dire selon sa compréhension et l’intensité du moment. C’est pourquoi les Vohou, forts de ce fondement mystique qui caractérise certaines œuvres humaines, n’ont pas lésiné sur les moyens pour imposer cette pratique qui est une suite logique d’une facette de l’art sacré, ajusté dans un esprit contemporain. A l’image des cérémonies traditionnelles, les Vohou, avant d’aborder toute création, font appel aux mânes des ancêtres en requérant leur assistance, leur aide et leur protection. C’est cet état d’esprit qui anime les artistes et confère à leur œuvre une dimension ésotérique.
En fait, tout le cheminement de la création d’une œuvre d’art Vohou est un rituel propre à chaque artiste. C’est ce qui fait dire de Youssouf Bath “le sorcier du Vohou-Vohou” qu’il entre en “transe” c’est-à-dire dans un second état au moment de peindre. Chaque œuvre Vohou conçue est plus ou moins sacrée, présentant un univers évoquant quelques symboles qu’il est bon de décoder. Mais cette œuvre Vohou peut être plutôt sacrée dans son contenu que dans son aspect extérieur.
Tout le monde peut accéder à une œuvre Vohou, mais pas à son contenu caché qui est d’une autre dimension. L’œuvre Vohou n’est pas faite pour la simple contemplation. Elle pérennise avant tout une culture, une sagesse. A ce titre nul ne peut la créer s’il n’est un initié.
– le second volet du rituel qui a commencé avec l’artiste est parachevé par l’auditoire, le spectateur.
Nul ne peut voir une véritable œuvre Vohou, sans en être au plan émotionnel touché dans tout son être. N’est-ce pas les mêmes sensations que l’on éprouve face au sacré dans un art traditionnel ?
Ce choc culturel inaugure l’initiation et cette sorte de culte a lieu en ce moment même par chacun des visiteurs, selon son expérience de la vie, son sens de l’élévation face aux choses du monde dit sacré. Et c’est ça le phénomène Vohou-Vohou ! Ici, des rituels inscrivent et perpétuent le temps mythique dans le temps profane. Ainsi, nous pouvons exprimer que l’homme moderne conserve encore toute une mythologie camouflée en des termes contemporains qu’il faut savoir décrypter, apprécier.
C’est dire combien de fois le domaine du sacré revêt un caractère continuel pour l’être humain. C’est un champ qui s’explore jusqu’à la fin des temps, toujours dans de nouvelles dynamiques.
II/ Vohou-Vohou, un Art thérapeutique séculaire
Il s’agit ici du Vohou-Vohou médical traditionnel qui prend en compte toutes les pratiques médicales traditionnelles en Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire notamment chez les peuples Sénoufo de la région de Katiola.
En effet, la science et le mysticisme ont un point commun, celui de l’étude des mystères de la vie humaine sur terre. Ils ont pour prédilection pour assouvir leur finalité, l’observation scientifique, la concentration et l’intuition. En somme, les Arts sont l’un des modes d’interventions pour marquer la traçabilité de la civilisation humaine sur terre et cela dans divers domaines. Le bien-être physique étant la question sine qua non à toute existence, l’homme ne pouvait que s’en occuper en principal d’où le développement des Arts thérapeutiques. En Côte d’Ivoire, ces Arts sont l’apanage de sociétés sécrètes notamment le Poro et ses démembrements (Noukrêhê, Hôuôgnougo, etc.) des peuples vaillants sénoufo du nord.
Ces branches du Poro, susmentionnées, prennent en compte effectivement les pratiques traditionnelles médicinales que nous dénommons ici le Vohou –Vohou. Les traitements sont pratiques. Car, ils marquent plus la conscience et laissent des traces indélébiles à travers l’émotion parfois suscitée chez le malade, l’atteinte de la psyché d’où la guérison. Cette forme de traitement est plus naturelle et digeste que celle de la médecine moderne dominée par les produits chimiques avec ses multiples conséquences que nous connaissons. Avant de soumettre le malade à un traitement, une cérémonie rituellique est organisée à cet effet pour indiquer au devin l’attitude et les dispositions à prendre pour un meilleur résultat. En d’autres circonstances, le devin ou le guérisseur peut même prévoir la guérison en situant les causes qui ont engendrées la maladie.
Cette démarche évite ainsi le tâtonnement expérimental d’où son efficacité. Les médecines d’approche de traitement d’une maladie sont diverses :
- La médecine par les plantes ou la phytothérapie
- La médecine par la parole (prières, sons, versets, incantations) et le corps (cataplasme)
- La médecine par l’Art thérapie et musicothérapie (danses, masques, statuettes, amulettes…)
- Médecine par les plantes ou la phytothérapie
Cette médecine est souvent héréditaire. Mais aujourd’hui, elle connait un développement au point qu’elle est pratiquée par tous d’où d’ailleurs son incrédibilité. C’est-à-dire elle a perdu un peu de sa valeur. C’est un domaine qui relève du savoir des ancêtres depuis des millénaires et perpétué jusqu’à nous. Cette science a quelque fois des résultats édifiants que la médecine moderne devrait s’en approprier.
Cette pratique généralement convoque un ensemble de plantes dans un même espace qui ressemblerait à un détournement. Ce cocktail prend une autre fonction celle de s’entremêler et donner un ensemble harmonieux de breuvage que nous appelons médicament.
Comment s’effectue cette alchimie ?
Chaque plante a une spécificité à respecter. Son accession peut se faire de jour comme de nuit à diverses périodes (lunaire ou étoilée). Par exemple, le devin avant de couper la plante lui adresse la parole afin de solliciter son aide pour les fonctions à lui confier. Alors quelques fois, cela exige une disposition particulière. Celle d’être nu pour montrer le caractère sacré et de pureté d’âme. Cette scène peut être accompagnée d’invocation des esprits pour une assistance. Après cette récolte, l’emplacement des éléments dans le canari suit un ordre précis qu’on ne saurait justifier. Puis l’on indique la posologie à suivre pour l’application du produit. Généralement, cette prescription est assortie d’interdits ou de totems pouvant affaiblir la puissance du médicament en présence.
- Médecine par la parole (prières, sons, versets, incantations) et le corps (cataplasme)
Cette médecine est aussi vieille que le monde. Ici c’est l’utilisation par excellence de la parole. Ne dit-on pas que la parole est sacrée ? Il est dit en pays Senoufo que la parole est créatrice et à la fois destructrice et donc sachons l’exploiter.
Cette science est sacrée et relève d’un cercle bien fermé. Cette parole est souvent accompagnée de formes pensées pour matérialiser, imprimer l’acte. Cela fait appel à une maîtrise de soi. Ici, les soins peuvent se faire même à distance par le biais des méthodes télépathiques. A ces séances, l’on utilise habituellement des sons ésotériques, des versets sacrés, des prières mystiques ou religieuses, des incantations séculaires associées à des gestes bien appropriés. Il est à remarquer que cette médecine traditionnelle maîtrise l’anatomie humaine. Il s’agit là de toucher des points sensibles du corps dont seuls les initiés en gardent jalousement le secret. Ces traitements peuvent être accompagnés de massages d’huiles essentielles, de beurre de karité, caolin et autres mixtures, donnant ainsi des résultats édifiants, étonnants (maux de tête, mal de vente, accouchement difficile, maux de dent etc.)
- Médecine par l’Art-thérapie et musicothérapie (danses, masques, statuettes, amulettes…)
Art -thérapie
Nous, les humains, sommes tous “fous” à des degrés divers. Il semble que les créateurs de tout genre, surtout les artistes en particulier soient de véritables “fous”. En effet, la folie rime avec la création, car c’est dans l’ordre de la folie que l’homme peut créer ou inventer. C’est dans cette folie de création que se trouve le bien être social, physique et spirituel.
La pratique de l’Art-thérapie en Afrique consiste essentiellement à crée les conditions favorables au dépassement des difficultés personnelles par le biais d’une stimulation des capacités créatrices. En d’autres termes elle est fondée sur l’utilisation thérapeutique du processus de création artistique (les masques, les danses, la statuaire, les amulettes…), qui intègre la pensée philosophique et spirituelle Africaine.
Culte des ancêtres comme médiation au bien être
Le culte des ancêtres est un rituel propitiatoire que les Sénoufo célèbrent pour tous les événements importants. Par exemple, avant tout acte, le Sénoufo procède d’abord à une cérémonie cultuelle au cours de laquelle il sollicite l’assistance et la bénédiction des ancêtres. Généralement, ce culte est conduit par le chef de la tribu ou de la famille ou encore par le maître de la cérémonie connu de tous, les autres membres sont les initiés. Le maître officiant implore les mânes en leur donnant de l’eau pour étancher leur soif et apaiser leur colère par ce geste. Et c’est au cours de cette cérémonie qu’il prépare l’offrande destinée aux ancêtres : un animal domestique : une poule, un cabri, un chien… Ce geste traduit le pacte de sang qui lie les ancêtres aux vivants. Ce sang est versé sur la statuette devant laquelle la cérémonie a lieu. Tous les membres sont dans une position accroupie et dans un silence total. Tous les gestes de l’animal immolé sont passés en revue, afin de détecter tout présage éventuel annoncé par les ancêtres ou les esprits qui sous-tendent cette cérémonie. Ce rituel peut s’achever par le jet de la kola qui est un système de vérification, de contrôle du sentiment des ancêtres ou des esprits. Par ce geste, l’on s’assure de l’acceptabilité des offrandes par les ancêtres ou les esprits. C’est à partir de cet instant qu’on constate une lueur de joie ou d’espoir sur les visages des participants ou au contraire le renfrognement des visages. Dans le dernier cas, tout est à reprendre. Il faut consulter les oracles pour en savoir davantage. Lors de ce rituel, la viande de l’animal est cuisinée et un repas collectif destiné aux initiés est servi à cet effet. Mais, le maître de cérémonie prend soin de servir d’abord les ancêtres. Si la cérémonie est concluante, l’on engage avec confiance et beaucoup de sérénité l’action pour laquelle elle a été célébrée.
Le culte des ancêtres et l’initiation au Poro établissent des liens entre les hommes et le surnaturel (les formes invisibles et tout ce qui est inconnu). A travers le rituel, les Sénoufo se concilient avec les forces mystérieuses. II leur permet de vivre en bonne intelligence avec les forces invisibles et en même temps, de s’en servir et de s’en préserver.
À travers le culte des ancêtres, les Sénoufo se mettent sous leur protection et essayent de s’attirer leur bonne grâce et favoriser leurs actions.
Les rituels délimitent les règles de conduite à suivre par l’homme dans le domaine tant du sacré que du profane. Ainsi transparaît la différence entre les peuples. Ce sont des entrelacs de codes destinés à transmettre souvent des messages, c’est-à-dire que la communication avec les forces invisibles s’établit par un système codifié qui ne change pas et reste plus ou moins immuable. Par exemple, l’initiation au Poro se déroule toujours selon le même schéma depuis des millénaires. Ce côté répétitif montre l’une des caractéristiques de la ritualisation. Nous avons étudié que les formes de la statuaire Sénoufo transmettent leur message à travers un langage formel codifié auquel l’artiste doit se conformer. La statuaire intervient à un niveau symbolique. Au cours du rituel, elle présentifie les absents, les ancêtres, à travers un répertoire de formes prédéterminées par la tradition. Jean MAISONNEUVE explique que :
«Les pratiques rituelles sont éminemment symboliques, car elles médiatisent par les postures, gestes ou paroles une relation à une “entité” non seulement absente […] mais impossible à percevoir, inaccessible sauf par le moyen du symbole lui-même ».
Les statuettes Sénoufo permettent l’accès au symbolisme et sont fondamentalement liées au rituel. Le message véhiculé par la statuaire Sénoufo transmet une certaine idée du sacré. Tout rituel tourne autour du sacré. Le sacré est au début et à la fin de toute action. Dans les sociétés africaines, il se réfère à une transcendance, à un monde surnaturel et à un monde invisible.
Importance du corps
Le rituel ne peut pas exister, ni fonctionner sans le corps. Le message s’incarne et s’inscrit dans le ou les corps. Comme l’explique Jean MAISONNEUVE, il est le :
« support direct ou indirect de son action ou de son projet… tous les travaux consacrés aux rituels soulignent cette liaison foncière de la foi et de la corporéité ».[6]
L’initiation au Poro utilise le corps dans toutes les phases de son action. C’est à travers lui qu’elle imprime ses signes, ses marques, ses pratiques et ses interventions. C’est encore à travers lui et avec l’aide des statuettes que les Senoufo entrent en contact avec les ancêtres. La danse, la musique forment tout un ensemble de conduites corporelles utilisées dans le rituel.
A l’observation, nous constatons que la statuaire Senoufo est une statuaire exclusivement anthropomorphique. Comme nous l’avons dit précédemment, c’est à travers les formes stylisées des figures Senoufo que s’incarnent la puissance, la force vitale, la plénitude de l’ancêtre ou des divinités.
- Communication sociale
Le corps, à travers le chant, la danse, la musique, la théâtralisation, les formes stylisées des figures Senoufo, établit la communication sociale.
La communication est la fonction majeure de la ritualisation. Une communication qui s’établit à deux niveaux :
Par l’intermédiaire de la corporéité, les Senoufo établissent un lien direct avec les ancêtres. Les rituels jouent un rôle de médiateur entre le divin et les hommes. Ce sont des opérations symboliques qui permettent de se réconcilier avec les forces invisibles. Les gestes ne sont pas innocents, les danses, les statuettes sont chargées d’efficacité et leur permettent de maîtriser l’inconnu. Comme l’écrit Jean MAISONNEUVE :
« Les conduites rituelles expriment et libèrent l’inquiétude humaine devant le corps et le monde, leur transformation et leur anéantissement ».[7]
En second lieu, le rituel a une fonction de communication et de régulation au sein de la communauté. Il atteste qu’il renforce le lien social. Le rituel a une fonction collective. Le rituel suscite en la communauté un sentiment d’identité collective, le besoin d’entretenir et de raffermir les croyances et les sentiments qui fondent son unité. En effet, le rituel permet à la communauté de consolider ses liens et de réaffirmer ses valeurs communes.
- Musicothérapie africaine
La musicothérapie est l’usage de la musique dans le traitement des maladies. Si cette pratique est reconnue en occident de par ses fondements scientifiques, en Afrique noire, elle demeure encore empirique. Elle n’est pas prise en compte dans le domaine de la santé de manière officielle de sorte à lui permettre d’exister au même titre que les autres méthodes de médecines modernes acceptées de tous. Cet article vient renforcer les travaux scientifiques déjà engagés dans le milieu universitaire de la Côte d’Ivoire par le professeur Koffi Modeste Armand Goran, musicologue. Ici, nous nous intéressons à ses femmes et à ses hommes guérisseurs du “Hôuôgnougo” ou des Noukrêhê, permettant ainsi une diffusion plus large. Cette science médicale a le droit d’être connue et pratiquée en appoint à la thérapeutique des hôpitaux modernes. En effet elle se positionne comme une alternative efficace dans la recherche effective de solutions aux difficultés de santé auxquelles les populations sont confrontées. C’est l’occasion pour encourager cette forme de médecine qui s’adapte aux réalités africaines. Il est bien de noter qu’aujourd’hui avec la crise qu’a connue la Côte d’Ivoire, la pauvreté s’est installée dans les ménages. En conséquence, la majorité de la population converge vers ses personnes ressources de santé parce que jugé à porter et plus accessible à la bourse. D’où l’intérêt que suscite ce phénomène dans nos différents états Africains. Certains pays comme le Bénin, le Ghana essaient déjà de rapprocher la tradition à la modernité pour une meilleure prise en compte dans le traitement des pandémies qui menacent la santé des populations. L’autre approche aussi est de voir et de comprendre l’utilisation de la musique dans la thérapie pratiquée par ses confréries en pays Senoufo (Tagouana) les Noukrêhê ou le détendeur du “Hôuôgnougo” en général cumulent les fonctions de devin, de médium, de guérisseur, d’anti-sorcier, de psychothérapeute etc. d’où leur importance dans la société. Car ils sont les détenteurs de la vie, du bien-être. C’est pourquoi ils sont associés à la vie de la communauté dans tous les domaines. Ce sont des personnes douées qui possèdent de profondes connaissances de la nature duale de l’homme, du physique au spirituel. Ils opèrent de jour comme de nuit pour la protection de leurs patients menacés souvent par les sorciers mangeurs d’âmes. C’est un milieu complexe difficile à appréhender.
En effet, c’est un corps d’élite, hors pair que sont ces initiés du Poro. Les initiés au cours de leur formation acquièrent des connaissances approfondies sur la nature humaine et également relatives à la théogonie et à la cosmogonie sénoufo. Ainsi, la fonction de guérisseur n’est pas le fait du hasard. Les prétendants doivent posséder des atouts, des prédispositions à la clairvoyance et aux autres pratiques mystiques faisant d’eux des hommes d’exception. Car rentrer en contact avec les esprits, les Dieux suppose une grande maturation ésotérique. Comme le souligne ici le Pr Koffi Modeste : « la Musicothérapie pratiquée par le Komian allie musique instrumentale et chants dont les paroles sont chargées de vertus curatives d’essence divine ou, à tout le moins, surnaturelle. On dénombre ainsi quatre types de parole : les paroles exorcisantes ayant pour objectif de faire sortir du malade le maléfique agent de la maladie ; les paroles propitiatoires ou paroles d’invocation de Dieu dont le seul nom éloigne la malveillance pour faire place à la bienveillance ; les paroles adorcisantes destinées à faire fusionner dans le corps du patient les énergies perturbatrices contraires afin d’y établir l’équilibre et l’harmonie propices à la guérison ; enfin les paroles conjuratoires qui consistent à tenir éloignés tous les éléments jugés négatifs, comme une mise en quarantaine …»[8]. Cela démontre une certaine scientificité des connaissances ancestrales qu’il faut vulgariser afin de nourrir la science universelle.
CONCLUSION
Cette recherche ouvre de nouvelles perspectives dans l’étude et la connaissance de la thématique, (Art et clinique), dans le fonctionnement de la pensée africaine. Partant du principe que chaque communauté humaine à sa propre culture, cet article montre aussi à partir d’exemples concrets l’importance des arts traditionnels et des pratiques ésotériques africaines dans la recherche du bien être social des humains.
En effet, ce regard nouveau sur les fétiches considérés à tort comme à priori des objets négatifs, vient ici tempérer les ardeurs des uns des autres et permettre d’envisager une approche plus positive afin de les inclure pourquoi pas dans les sciences universelles. Le fétiche joue un rôle, de médiation, de socialisation, de protection, de thérapie et d’interface entre le Divin et l’être humain. A cet titre il peut être considère comme une pratique animiste scientifique, doué d’intelligibilité et d’inventivité s’intéressant à tous les domaines de la vie sociétale africaine, d’où son enracinement. Nonobstant son opacité, il serait fondamentale d’en faire comme nous l’avons suggéré un objet de réflexion scientifique, pour en tiré la substance inhérente à la philosophie, à la sociologie, à la psychologie, psychanalyse, et à l’anthropologie. Cette problématique de l’Art thérapie à néanmoins permis de comprendre les enjeux du culte, du rituel et du sacré dans les sociétés africaines en générale puis leur influence indéniable sur les arts en particulier. C’est ce monde complexe et mystérieux difficile à appréhender que les artistes africains de la contemporanéité essayent de pénétrer afin d’en comprendre le fonctionnement, puis pérenniser ce qui pourrait être essentiel et caractéristiques en ces cultures riches en découvertes. Nous estimons que les résultats d’une telle action viendront enrichir le domaine de la science notamment celui médicale pour un mieux être profitable à tous. C’est ce défi que les intellectuels et plasticiens ont le devoir de relever afin de positionner dans le Concert des Nations, les pays africains.
Bibliographie
BUSCA J., l’Art Contemporain Africain, du Colonialisme au Post colonialisme, Paris, l’Harmattan, 2001, 237 pages.
COULIBALY S., le Paysan Sénoufo, Abidjan, NEA 1978, 245 pages.
DE MEREDIEU F., Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne, Paris, Larousse, 2004, 724 pages.
ESSOMBA J. M. l’Art Africain et son message, Yaoundé, Ed. Clé, 1985, 73 pages.
FAЇK-NZUJI C M., Arts Africains signes et symboles, Bruxelles, de bock université, 2000, 231 pages.
GAUDIBERT P., Art Africain contemporain, Paris, Editions Cercle d’Art, 1994, 184 pages.
GORAN, AM.K., Musicothérapie traditionnelle chez les Komian en Cote D’Ivoire, Paris, l’Harmattan, 2012, 291 pages.
ŒUVRE COLLEGIALE, Musique et Mysticisme, Paris, Éd. diffusion Rosicrucienne, 2011, 261 pages.
Notes
[1] Joëlle Busca, l’art contemporain Africain du colonialisme au post colonialisme, Paris, l’Harmattan, 2000, p11.
[2] Jacques Yankel, texte écrit lors de l’exposition des jeunes peintres africains au musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, du 12 Septembre 1985 au 13 Janvier 1986.
[3] Charles Baudelaire, Ecrits sur l’Art, Paris Ed. Francis Moulinât, 2002, pp 26 ,30 et 31.
[4] Florence de Méredieu, Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne, Paris, Ed. Larousse, 2004, p. 1.
[5] Emile Durkheim, cité par Jean Cazeneuve, Rites, in Encyclopedia Universilis, Corpus 20, Rhéologie silicates, Paris, 1996, p. 64.
[6] Jean Maisonneuve, les rituels, Paris, Puf Collection «Que sais-je ? » N°2425, 1988, PP 10 et 12.
[7] Idem. P 13.
[8] Koffi Modeste Armand Goran, Musicothérapie Traditionnelle chez les Komian en Cote d’Ivoire, Paris, l’Harmattan, 2012, P 15.