Art et imagerie médicale

Véronique Rondeau-Amouyal

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Rondeau-Amouyal, V. (2019). Art et imagerie médicale. p-e-r-f-o-r-m-a-n-c-e, 5.


Résumé

De toutes les images qui jalonnent l’histoire de la représentation du corps, celles fournies par l’imagerie médicale (radiographie conventionnelle, scanner, échographie, IRM, ou endoscopie) sont les plus récentes. En nous montrant le corps en transparence sur le vivant, elles réalisent un rêve très ancien, cher aux artistes et aux médecins, d’accéder à une forme de connaissance de l’intériorité de l’être. Nombreux sont les artistes contemporains qui s’emparent de ces images dans leurs œuvres questionnant de manière sensible l’identité, l’intime, le rapport imaginaire de l’individu au monde alors que le corps virtuel est numérisé, devenant étranger à lui même.  Plus largement des artistes soulignent le paradigme de la transparence de l’imagerie médicale dans nos sociétés de surveillance.


Les artistes et l’imagerie médicale

Comment les artistes, mettant à l’épreuve l’idée même de représentation, se saisissent-ils de ces images véhiculées par la médecine pour mettre en scène nos corps virtualisés. Quels sont les nouveaux enjeux soulevés par les œuvres détournant hors du contexte médical les images de rayons X, de scanner, d’échographie, d’IRM, ou encore d’endoscopie?

Pour cette rencontre entre art et médecine, notre approche s’est faite à partir de la mutation du regard médical porté sur l’intérieur du corps survenu à l’heure des appareillages techniques. Au XVè siècle le regard dit anatomique fouillait dans les corps lors de la dissection. Avec la découverte des rayons X, le regard porté sur le corps dont la peau est totalement transparente est devenu imagique. À la Renaissance pour un artiste, voir les formes de l’intérieur du corps lors de la dissection était une nouvelle façon de perfectionner le dessin de la figure humaine, d’explorer la profondeur afin mieux dominer la surface. On retrouve cette idée dans  l’expression « avoir une belle anatomie ». Cette dissection se pratiquait sur des cadavres, bravant dégout et interdits. L’anatomie artistique précéda l’anatomie médicale puis elles s’enrichirent mutuellement. Ce regard que nous disons anatomique cherchait dans la mort des vérités sur la vie. C’est à partir de 1895 avec la découverte des rayons X que le regard porté sur l’intérieur du corps va progressivement devenir imagique. « L’image  originelle » qui marque le début de la radiographie est réalisée en décembre 1895 par Wilhem Conrad Röntgen, physicien allemand qui remarqua que les rayons X étaient capables d’impressionner des plaques photographiques, tout comme la lumière visible. Cette image originelle est celle de la main de sa femme, une  bague apparaît comme une forme noire en radiographie inversée. La radiographie va fasciner les médecins comme le grand public. Pour l’artiste, la fenêtre radiologique est une nouvelle approche de ce qui peut se décrire du sujet, une fenêtre ouverte sur ce qui peut se raconter de lui, sur une histoire jusque-là inaccessible sur le vivant. Ce qui va surtout intéresser les artistes au début du XXème siècle, c’est le fait que la radiographie met en exergue la dimension cachée du corps. Marcel Proust emploie le terme radiographié au sens figuré dans Le Temps retrouvé pour justifier sa psychologie des profondeurs et la nécessité de ne pas s’arrêter à la superficie, à l’apparence :« Le charme apparent, copiable, des êtres m’échappait (…). J’avais beau dîner en ville, je ne voyais pas les convives, parce que, quand je croyais les regarder, je les radiographiais. »[1] C’est au début du XXème siècle que naissent la psychanalyse et de la découverte de l’inconscient, autres incursions dans le champ du non perceptible.

Les progrès scientifiques au XXème siècle vont rapidement permettre le développement de nouvelles techniques d’imageries. L’imagerie médicale, c’est à dire la radiographie, le scanner, l’échographie, l’IRM ou encore l’endoscopie, avec l’outil numérique, en nous montrant le corps en transparence sur un sujet bien vivant, in vivo, sans effraction, réalise ainsi un rêve très ancien, cher aux artistes et aux médecins, d’accéder à une nouvelle forme de connaissance de l’intériorité de l’être. L’imagerie fonctionnelle, comme l’ IRM du cerveau, va même tenter d’explorer nos pensées. La nano-imagerie produit elle aussi des images du vivant, prospectant dans l’infiniment petit de nos corps (gènes, cellules, molécules). Si Pour un artiste, voir l’intérieur du corps lors de la dissection était une façon d’apprendre à mieux représenter par le dessin, l’imagerie médicale inaugurant l’ère du virtuel dans la gestion du corps, va être détournée par les artistes contemporains dans une toute autre optique. L’imagerie médicale offre aux artistes un nouveau regard sur le corps. Les qualités particulières de ce regard imagique pénétrant dans le vivant, vont leur permettre la création de portraits d’un nouveau genre.

C’est en premier lieu l’idée de la valeur de vérité qu’apporte l’image scientifique qui va être exploitée par les artistes : l’image radiologique est une image scientifique considérée comme parfaitement objective telle que l’a été la photographie. Roland Barthes a souligné le pouvoir de la photographie à transmettre le réel, certes l’image n’est pas le réel mais elle en est selon lui, l’analogon parfait et « d’un point de vue phénoménologique, dans la photographie, le pouvoir d’authentification prime le pouvoir de représentation. »[2].André Rouillé développe cette idée « La photographie renouvelle ainsi les procédures du vrai, en mécanisant la vérité optique, celle de la chambre noire et de l’objectif, et en la redoublant d’une vérité par contact celle de l’empreinte »[3]. Il persiste aujourd’hui une croyance spontanée dans l’image photographique pour dire le vrai. S’il existe une certaine méfiance vis à vis de l’image photographique, numérique notamment, on peut constater que dans le domaine médical l’image est là pour nous révéler une vérité cachée.

 La radiographie associant transparence et savoirs, va être détournée par John Heartfield artiste juif allemand (1891-1968) membre du mouvement Dada pour tenter d’ouvrir les yeux de ceux dont le regard n’est pas assez perçant pour voir la vérité qui est dissimulée derrière une apparence trompeuse. Heartfield est un des premiers artistes à s’emparer de la radiographie du corps dans ses photomontages à caractère politique, violente critique contre le nazisme. C’est en 1932 qu’il réalise Hitler poster antinazi dans lequel on distingue une radiographie de thorax dévoilant l’argent caché par Hitler. La présence glaçante du squelette inséré dans un corps vivant montre que le savoir de référence reste cependant le cadavre dans ce portrait macabre qui annonce les horreurs à venir.

Certains artistes vont questionner l’imagerie médicale quant à sa capacité à dire une vérité sur eux même: ils vont utiliser l’objectivité de la science pour dire leur subjectivité pour révéler leur nature cachée. Ce n’est plus « la vérité en peinture » promise par Cézanne mais la vérité en images médicales. Portrait sans visage, cette nouvelle écriture du corps contribue à bouleverser les codes classiques de la représentation et va permettre à certains artistes comme Robert Rauschenberg de réaliser des autoportraits questionnant l’identité. En 1967 Robert Rauschenberg produit une série de lithographie The Booster and 7 studies, de grand format (181,7cm) à l’aide de radiographie en pied de son propre corps. Booster est un terme anglais qui désigne « une chose augmentant le pouvoir ou l’efficacité ». Terme polysémique il peut renvoyer ici à la colonne vertébrale ou à la chaise qui supportent chacun à leur façon  le corps  ou encore à la radiographie, et par extension à la science, comme processus amplificateur pour l’homme. Rauschenberg nous livre une image anthropomorphique qui offre une représentation de lui non-réflexive et dont il semble dégager toute responsabilité. Il n’invente rien, c’est une empreinte impartiale, à distance, acheiropoïète, c’est à dire non faite de la main de l’homme. Cette œuvre évoque le suaire de Turin où l’image du corps de Jésus se serait imprimée sur les fibres d’un drap. Rauschenberg, sur le mode de la présentation, joue sur la symbolique de l’image et apporte ainsi une nuance au credo rationnel de son époque.

Si l’artiste américain Matthew Day Jackson né en 1974, fait directement référence à Rauschenberg en réalisant en 2008 son autoportrait Missing Link II« after Booster », le corps apparaît là, malade et morcelé. Utilisant la radiographie et dans le souci de ne rien cacher, l’artiste va jusqu’à l’os. Dans un autre portrait Study Collection IV en 2010 MDJ associe à la radiographie un grand nombre de matériaux récoltés dans son environnement. C’est le portrait fragmenté de l’homme contemporain qui a perdu son unité. Des prothèses maintiennent des os fracturés. La radiographie permet à l’artiste de rendre plus sensible la personnalité intérieure du sujet sans avoir besoin de recourir aux indices habituels comme la pose, l’expression de la physionomie, etc…Passant l’enveloppe de la peau l’imagerie médicale renvoie à l’universel. L’artiste nous montre le portrait du nouveau martyre des temps modernes, le portrait de la nouvelle victime expiatoire du péché social. Ainsi  l’imagerie médicale permet à l’artiste de passer du particulier au général.

Pour Jean François Lyotard l’art moderne en se libérant de l’obligation de la représentation a pour enjeu «la présentation de l’imprésentable »[4]. Des artistes souhaitant rompre avec les codes classiques de la représentation s’emparent de l’imagerie médicale, celle-ci permettrait la présentation de l’homme contemporain identifié davantage par son empreinte comme un panoramique dentaire, une empreinte génétique, un fond d’œil, des empreintes digitales, que par la photographie de son visage. Les artistes suscitent ainsi une nouvelle conception du portrait comme image fragmentée de soi. C’est ce que fait Gary Schneider dans Genetic Self-Portrait. Cet artiste photographe né en Afrique du sud travaille à New-York. Selon Hélène Samson « l’Autoportrait génétique de Schneider est une radicalisation du portrait d’identité. Il pousse à l’extrême la logique des présupposés de ce genre: l’objectivité photographique et l’inscription corporelle de l’identité »[5].

Gilles Deleuze dit de Francis Bacon qu’il « cherche à rendre visible des forces invisibles ». Nous savons que pour cela Bacon en 1954 s’est inspiré d’un livre de radiologie pour ses peintures de portraits. Ce rapport à l’essence immatérielle du corps, c’est ce qui a incité l’artiste Ernest Breleur né en Martinique en 1945 à utiliser des radiographies et des IRM dans une approche sculpturale poétique. Il récupère des images de radios abandonnées et va les utiliser dans des créations en volume dans lesquelles la lumière, la matière mais surtout la notion de vide sont essentielles. Pour ses installations particulières, il dit pratiquer une sorte d’intervention chirurgicale. Agrafant des fragments de radiographies horizontalement il redresse le tout suturé opérant par collage selon ses propres mots « une résurrection des corps ». Les radiographies viennent attester de ces corps vivants par delà leur absence. Il s’agit en effet de faire triompher la vie sur la mort dans un combat qui devient métaphore de la genèse du vivant. Présence plus que représentation l’artiste passe de l’apparence à la transparence. Comme le dit Jacques Leenhardt « ce choix technique signifie…que l’artiste à préféré la luminosité lunaire de la radiographie à l’éclat réaliste que le soleil confère aux objets du monde. »[6] Les installations radiographiques deviennent métaphores de l’être. Une fois ôtée l’épaisseur de peau qui nous fait croire être différents, ces œuvres posent la question fondamentale de l’essence humaine.

L’imagerie médicale est un dispositif intrusif  qui permet de pénétrer dans l’intime. Cette intrusion du dispositif scientifique est exploitée par l’artiste brésilienne Cris Bierrenbah dans Retratos intimos (2003) c’est-à-dire « portrait intime » réalisé avec des radiographies. Il s’agit de cinq agrandissements photographiques numériques de radiographies (85 x60 cm) qui montrent l’intérieur de son corps de la hauteur de l’estomac jusqu’aux genoux avec cinq objets coupant et pointus (seringue, couteau ciseaux, forceps, fourchette). La superposition corps et objets laisse à penser que les objets sont insérés dans le corps par les parties génitales. L’artiste va utiliser cette métaphore visuelle perturbante, pour prendre les autres à témoin, dénoncer les violences faites aux femmes.

C’est dans une démarche sociologique et éthique que Prune Nourry, jeune artiste française  a utilisé des clichés de radiographie comme sets de table dans un happening  Le dîner procréatif  en 2009 à Genève. Son travail dérangeant et singulier dénonce les dérives eugénistes possibles en matière de procréation assistée ou de l’utilisation abusive de l’échographie en Indes pour connaître le sexe du fœtus permettant de pratiquer une sélection.

Est également dérangeant le travail de Wim Delvoye. Célèbre auteur de Cloaca, la machine à fabriquer des excréments, Wim Delvoye est fasciné par les techniques et par les relations qu’entretiennent l’art et la science. Pour Mudam au Luxembourg, Delvoye conçoit en 2006 une chapelle grandeur nature, d’inspiration gothique, tout en métal, et ornée de vitraux à l’imagerie subversive : la radiographie du squelette d’un corps qui tient d’une main un vibro-masseur placé entre ses jambes, une image radiographique d’une main baguée faisant un geste obscène ou encore un crâne en train de pratiquer une fellation. Danse macabre autant que spectacle de vie, mêlant ainsi Eros et Thanatos l’artiste nous livre un message athée et provocateur grâce à la lumière supposée transfigurer par tradition le divin. Le vitrail renvoie à l’intérieur du corps. L’artiste met en regard une technique traditionnellement dévolue à l’art religieux, le vitrail, et une imagerie pornographique esthétisée par la radiographie. Il y a confusion des genres dans ces baisers mortels, il ya transgression des normes. L’artiste, comme pourrait le faire le médecin, semble aussi nous dire que le sexe a partie liée avec la maladie et la mort et doit être transparent.

Ainsi si l’imagerie médicale est au plus près du vivant son lien avec la mort permet aux artistes de revisiter le thème classique de la vanité. Ainsi Helmut Newton en 1979 avec humour et dérision nous fournit une impossible radiographie du crâne de Shakespeare portant un collier de diamants. Piotr Uklanski, né en Pologne 1967, a fait en 2003 un portrait radiographique en corsaire aux couleurs psychédéliques du collectionneur François Pinault. La photographie de est à la fois vanité et portrait. Un insolite portrait spectral et fatal tel une mise à mort symbolique. Le travail de Piotr Uklanski tourne toujours autour de questions sur le pouvoir, sa représentation, sa fragilité et sa prétendue transparence.

L’imagerie médicale fonctionnelle comme possible voie d’accès à la pensée est un domaine aussi bien exploré par les médecins que par les artistes comme Miguel Chevalier, artiste français pionnier de l’art numérique.  Dans Terra incognita en 2010 on peut voir une image en coupe au scanner de son cerveau, et sur des écrans « une matérialisation des territoires imaginaires dans lesquels il évolue » dit-il.  Le dispositif interactif et immersif révèle les images en mouvement contenues dans le cerveau de l’artiste selon une topographie particulière. Le spectateur découvre sur écran panoramique, comme s’il pénétrait dans la mémoire de l’artiste, ses œuvres numériques réalisées jusqu’ici. Comme une sorte de boîte en valise duchampienne.

L’œuvre de Mona Hatoum Corps étranger soulève la plupart des enjeux que nous avons vus jusqu’ici. Mona Hatoum, artiste née au Liban et vivant à Londres, dans une installation vidéo intitulée Corps étranger de 1994 met en scène sa propre endoscopie digestive et questionne la relation entre corps propre et corps étranger. Le corps étranger est, à la fois, la caméra de l’endoscope extension du regard scientifique et le corps intérieur dont les images apparaissent étranges voir étrangères. Etranger aussi le spectateur, littéralement absorbé par le dispositif de présentation : la vidéo est projetée de manière circulaire sur le sol d’une structure cylindrique symbolisant un espace privé dans lequel le spectateur pénètre par l’une des deux portes étroites. Le grand format des images renforce l’impression d’immersion, le spectateur est fait voyeur. Un sentiment d’« inquiétante étrangeté » pour reprendre la célèbre expression freudienne s’empare de lui à la vue des images de l’intérieur de ce corps qui pourrait bien être le sien. Confrontation angoissante avec une représentation de soi étrangère à soi. L’endoscope tantôt effleure la peau et tantôt pénètre les orifices. Les mouvements de la caméra sont accompagnés par le bruit amplifié alternativement des mouvements respiratoires et de la pulsation cardiaque de l’artiste. À travers cette vidéo Mona Hatoum questionne la désorientation identitaire et l’intrusion dans l’intime que permet l’imagerie médicale en franchissant le passage de la barrière symbolique du dedans et du dehors. L’imagerie médicale change véritablement l’expérience du corps propre, terme qui désigne à la fois le corps dans sa stature, dans sa forme spatiale organique et l’intime du rapport au vivre. Selon Alain Corbin : « Le corps est une fiction, un ensemble de représentations mentales, une image inconsciente qui s’élabore, se dissout, se reconstruit au fil de l’histoire du sujet, sous la médiation des discours sociaux et des systèmes symboliques »[7]. Cette œuvre de Mona Hatoum Corps étranger amène une réflexion aussi sur le dispositif technique de l’imagerie médicale nécessaire à la mise en images du corps. Elle permet d’évoquer la notion de surveillance et la corrélation entre regard et pouvoir, question développée par Michel Foucault. En effet, la rencontre, au sein d’un espace architectural, entre le corps de l’artiste et le regard du spectateur fonctionne comme une mise en espace du pouvoir exercé par l’institution médicale, à travers le regard scientifique qu’elle porte sur le corps vulnérable du patient.

Conclusion

Ainsi nous avons retrouvé dans de nombreuses œuvres d’artistes l’imagerie médicale comme modalité d’apparition sensible du corps, portraits d’un nouveau genre, présence indicielle plus que re-présentation, sans caractère iconique de ressemblance au sens piercien du terme. Les artistes détournent l’imagerie médicale et la rigueur de la science pour signifier d’une vérité, celle de l’intériorité de l’être. Les œuvres s’emparent de l’empreinte numérique de nos corps virtualisés en jouant sur sa valeur symbolique.

En retour interrogeant la pratique médicale, ces œuvres pointent le fait que l’imagerie instaure une relation sensible étrange et inquiétante entre le sujet vivant et son corps. Présentation visuelle d’un corps virtuel et morcelé, elle modifie notre rapport au monde, notre rapport à l’altérité et à la mort. L’image médicale, plus que le produit d’une technique, est révélée comme une expérience sensible, l’expérience d’un patient devant son double désincarné, devant une image-objet d’un sujet devenu transparent. Cette expérience s’avère indissociable de son énonciation. « La légende ne deviendra-t-elle pas l’élément le plus essentiel du cliché ? »[8] disait Walter Benjamin mais une légende donnant une place à la parole échangée devant l’image et à la possibilité d’une médecine à la fois discours scientifique et pratique sociale organisée autour de la subjectivité de chacun.

Dans cette hégémonie du regard ces œuvres forment parfois une réponse critique aux exigences de transparence. L’imagerie médicale est un paradigme de la transparence qui régit nos sociétés modernes. Selon Jean Clair « La transparence est le début de l’horreur. Être transparent, c‘est ne plus exister. C’est une version de l’homme qui a perdu son ombre… »[9]. La science vise le réel, et pour l’atteindre fabrique un monde-image, un monde transparent, sans limites, où intérieur et extérieur sont désormais continus, un monde de transparence où tout serait mis en pleine lumière, livré à tous les regards : « l’oeil absolu »[10] comme le dit Gérard Wacjman. Foucault avait déjà noté que « Notre société n’est pas celle du spectacle, mais de la surveillance ; sous la surface des images, on investit les corps en profondeur…». [11]

La surveillance ne commence-t-elle pas avant la naissance avec l’échographie anténatale ?

La multiplicité des formes proposées par les artistes, cette atomisation de la présentation du corps, confirme que celui-ci n’a pas livré son secret et garde sa part d’ombre. Le corps demeure vivant, incontournable, et comme le dit Levinas sous l’espèce d’un être énigmatique, cet « éternel étranger ».[12]


Notes

[1] Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Le Temps retrouvé, édition publiée sous la direction JY Tadié, Editions Gallimard, 1999, p.2147.

[2] Roland Barthes, La Chambre claire.  Note sur la photographie,  Paris, Gallimard Seuil, Cahiers du Cinéma, 1980. P.135 et p.139.

[3] http://www.paris-art.com/art-culture-France/fictions-du-monde-versions-du-vrai/rouille-andre/348.html

[4] J-F Lyotard, Le Postmoderne expliqué aux enfants, Paris, Editions Galilée, 2005.

[5] Hélène Samson, Du portrait photographique à la fin du XX° siècle : retour sur le portrait d’identité, Thèse de doctorat, Montréal, Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques, Université de Montréal, décembre 2005.

[6] Jacques,Leenhardt  préface au livre de Dominique Berthet Ernest Breleur,, HC Editions, 2008.

[7] Corbin A, Courtine A , et Vigarello G (dir.) ; Histoire du corps, Paris, Le Seuil, 2008

[8] Walter Benjamin, Petite histoire de la photographie (1931), Paris, Editions ALLIA, 2012, p.56.

[9] Jean Clair, Au péril de la transparence, Discours prononcé lors de la séance de rentrée des Cinq Académies

Le 23 octobre 2012

[10] Gérard Wacjman, L’Oeil absolu, Paris, Denoël, 2010.

[11] Michel Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p.218.

[12] Emmanuel Levinas, Quelques réflexion sur la philosophie de l’hitlérisme, Éditions Fata Morgana, 1997.


Biographie de Véronique Rondeau-Amouyal