L’animal : art du détour, art du retour – Un théâtre de l’humanité
VINCENT LECOMTE
CITER CET ARTICLE
Lecomte, V. (2023). L’animal : art du détour, art du retour – Un théâtre de l’humanité. p-e-r-f-o-r-m-a-n-c-e, 7.
Dans La Fin de l’exception humaine, Jean-Marie Schaeffer affirme qu’il n’est plus possible de soutenir l’idée que l’homme jouirait d’une propriété singulière « en vertu de laquelle il transcenderait à la fois la réalité des autres formes de vie et sa propre naturalité1 ». Comme il le souligne lui-même, le but de Schaeffer n’est pas de « détruire le sujet ou la métaphysique, mais de réfléchir à une étude de l’humain qui intégrerait les connaissances apportées notamment par la biologie et la psychologie2 ». Le philosophe fait remarquer qu’« en se constituant comme relation à l’extériorité, la conscience (humaine) s’auto-constitue du même coup comme relation à elle-même, puisque cette relation à l’extériorité lui est donnée comme étant foncièrement sienne3 ».
Un retour sur l’humanité peut-il avoir lieu grâce au détour par l’animal que l’homme, par ailleurs, n’a jamais cessé d’être ? Convoquer l’animal – sa figure, son statut, son rôle, sa présence, voire son point de vue – permet à de nombreux artistes d’atteindre l’humain, autant par son extériorité que depuis son intériorité, supposée ou fantasmée. « Voir » l’animal dans l’homme consiste aussi à essayer de saisir ce qui fait l’humanité de l’homme. Michel Surya, par le biais du mot « humanimalité », transcrit ce qu’il perçoit dans les possibles de l’hybridation : un moyen d’envisager et d’accepter « l’inéliminable animalité de l’homme ». Il remarque que dans l’animal humain réside une irréductible singularité : « nul n’a pu faire, pas même ceux qui ont imaginé exterminer des hommes, et de les exterminer comme des bêtes, que ce qui avait dû revêtir les traits des bêtes ne continue pas de penser en hommes. Ne continue pas de penser l’homme4. » Quelle est alors cette humanité qui, plus encore que de définir, ou même de constituer l’homme, le pense ? Et en quoi un art qui confronte l’homme et l’animal, jusqu’à les fondre ou les confondre, peut-il également réussir à l’exprimer ?
Convoquer l’animal, s’y rapporter, ou s’en remettre à lui, permet aussi de déconstruire les représentations humaines, les modes mêmes du penser humain. Devant l’animal qui met « en œuvre » des actions permettant de penser hors de la sphère ou de la contrainte du logos humain, l’homme se retrouverait-il soudainement seul, hors-champ ? Ou bien cette confrontation décidée est-elle pour lui l’occasion de s’envisager et, partant, d’envisager différemment sa relation au reste du vivant ?
Trois cas de figures seront abordés, et seront à comprendre telles trois études comportementales, chacune d’entre elles offrant l’exemple d’une éthologie plastique capable d’atteindre l’homme à travers l’animal. L’ordre d’analyse suivra l’apparition chronologique de ces œuvres afin de laisser transparaître, au gré de ce fil historique suivi, une forme d’infra-histoire de l’art contemporain, voire une histoire souterraine d’un art de l’animalité humaine. Ces artistes ne sont bien évidemment pas seuls à s’intéresser à l’animal, mais, adoptant chacun à leur façon une posture esthétique spécifique, ils placent l’animal et l’homme dans une relation singulière, offrant d’eux des visions inédites menant à un exercice pratique de redéfinition des règnes.
Dans un premier temps, il m’a semblé important de revenir sur l’œuvre de Joseph Beuys et sa performance la plus connue, I like America and America likes Me, de 1974, dans laquelle l’artiste dialogue avec un coyote extrait de son milieu naturel. Au-delà de la confrontation qu’on pourrait croire inspirée d’une expérience éthologique, Beuys aborde, par ce face-à-face, et par le retour à une confrontation essentielle, des enjeux politiques, de pouvoir, de prédation, dont l’homme est pleinement dépositaire. Dans un deuxième temps, je me suis intéressé à la figure, parfois controversée, d’Oleg Kulik, et principalement à une série de performances qu’il a entamée au début des années quatre-vingt-dix, intitulée Mad dog, par laquelle l’artiste russe, nu, incarnant « fidèlement » un chien sur la défensive, cherche à interpeller, réveiller une société – occidentale – selon lui confortablement installée dans son humanité, et dont il se voit ou se représente, telle une bête, exclu. Enfin, j’ai voulu montrer comment, récemment, Pierre Huyghe, dans sa vidéo nommée Human Mask, de 2014, mettant en scène un singe masqué et habillé en fillette, permet de « toucher des yeux » ce qui fait l’homme : ce qui, par ce détour animal, se retourne, « nous regarde », pour nous dévisager. On peut également voir dans ces œuvres, dans lesquelles la mise en scène est en définitive l’élément central, trois théâtres qui sont trois façons de penser par l’animal l’humain, et, peut-être, d’accéder à ce qui fait l’humanité de l’homme.
Beuys : le quatrième mur.
Beuys veut emporter son public hors les murs sclérosants de l’art. Mais, paradoxalement, cette échappée passe par différentes stratégies de confinements. Contenir son objet – l’œuvre, l’action, l’animal et lui-même – est pour l’artiste allemand une façon de saisir pour mieux esquiver. Saisir par l’acte artistique l’occidentalité, la forme la plus aboutie d’une prédation de l’homme sur le reste du vivant. Choisir un lieu archétypal comme une galerie new-yorkaise, pour I like America and America likes Me, lui permet de bâtir de toutes pièces sa version, personnelle, d’un « musée imaginaire5 ». Cette relecture (ou redéfinition) du domaine de l’art avait déjà trouvé une expression saisissante dans Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort, en 1965. Dans cette performance, réalisée elle aussi dans une galerie6, à Düsseldorf, usant de l’animalité, l’artiste part d’une réalité sociale, intellectuelle et culturelle, que synthétise le lieu de monstration de l’art, pour mieux, de l’intérieur, en prendre congé, donnant à imaginer au public tenu à distance une autre forme d’expression corporelle et artistique.
La performance de Beuys, I like America and America likes Me, reste l’œuvre d’un dialogue corporel avec l’animal. Elle témoigne de la conviction de l’artiste qu’un échange est possible, mais aussi, à travers lui, un retour vers l’animalité de l’homme, son essentialité. La relecture de l’espace artistique s’accompagne d’un désir d’émancipation sociale. L’artiste affirme ainsi : « je ne suis pas d’accord pour dire de l’homme qu’il est foncièrement un être social, car je pense que l’être social n’est qu’une partie de l’homme. Pour moi l’homme est d’abord au niveau inférieur un être de nature, puis un être social, puis enfin un être libre7. » Beuys conçoit l’homme comme un animal dont la socialité vient en second plan et ne le constitue que de manière partielle8. De ce fait, un dialogue est possible avec des représentants d’autres espèces.
L’action, parfois simplement titrée Coyote, du nom du représentant de l’espèce choisie par l’artiste comme interlocuteur, cherche dans la manifestation animale une voie de sortie, une issue de secours. Beuys, dont l’inspiration est également rousseauiste9, dénonce la rupture entre nature et culture, animalité et humanité, campagne et villes, Amérindiens opprimés, décimés et colons blancs, Ouest et Est, mais aussi économie et écologie… Le coyote, dont l’intelligence10 était reconnue et admirée par les Indiens, devient le messager d’un monde rayé de la carte ; Beuys veut en quelque sorte lui attribuer le statut d’ambassadeur. Pour l’artiste, si cette action prend sens sur le sol américain, elle se joue d’abord sur une scène animale. Le coyote est à la fois l’ambassadeur du peuple amérindien et celui du « peuple » animal en général, dépossédé lui aussi par le prédateur humain11.
Ce qui rend possible, dans Coyote, le retour sur une époque disparue et un peuple anéanti, c’est l’acte même de la performance. Car pour Beuys il ne s’agit pas de pénétrer ordinairement dans l’espace de la galerie, symbole de l’art contemporain occidental. Après avoir quitté son atelier de Düsseldorf, le performeur ne doit plus toucher le sol jusqu’à ce qu’il ne soit dans le territoire recomposé de la galerie, à New York. Il ne foulera jamais la « terre » américaine, devenue impure. Selon des codes précis, aux vertus thérapeutiques, il va être transporté en civière vers une ambulance puis en avion et enfin à nouveau en ambulance et en civière, pour atteindre le lieu du rituel curatif. Une « symétrie ambulatoire » peut ici être remarquée. Il s’agit en fait d’un miroir – que la surface réflexive de l’Atlantique matérialise – tendu à l’Amérique, et, à travers elle, à l’homme moderne. Et cette réflexion (au sens propre comme figuré) agit dans sa réversibilité jusqu’à la fin de la performance, puisque le même rite sera observé au retour. Il vise à mettre en place les conditions d’un transfert, l’orchestration minutée d’un renversement des valeurs.
L’animal connaît lui aussi un protocole spécifique d’arrivée sur les lieux. Il effectue un voyage parallèle à celui de l’artiste. Ce transport, participant d’une seconde symétrie, permet l’activation d’un transfert, celui que vont connaître le coyote et l’humain. Extrait du désert pour ne revoir, lui aussi, la lumière du jour qu’au sein du dispositif, il vit également l’isolement nécessaire en préalable à l’expérience de la cohabitation. L’artiste veut vivre la même expérience que l’animal, une même condition qui les réunit au travers d’un même conditionnement préalable et d’un même mouvement. Le dialogue qui s’établit alors entre les deux êtres est d’abord un « transport », physique et moral, l’un vers l’autre, initié par l’engagement des deux corps dans la performance.
Dans la galerie, un processus à la fois territorial et essentialiste s’engage autour d’éléments symboliques et matériels12 fonctionnant comme un langage de plus en plus articulé. Le concept même de « sculpture sociale13 », cher à Beuys, opère de façon linguistique et s’appuie sur des repères et des dimensions spatiales pour évoquer tant l’humain que l’être-au-monde, voire invoquer un au-delà ou un à-venir animal commun.
Le verbe, symbole et outil majeur de la domination de l’homme, est revisité. Beuys ne cesse de parler, de professer, de prédire mais aussi de déconstruire son propre langage. Dans la performance de 1965, c’est par le discours sur l’art qu’il a voulu initier un lièvre mort, mais c’est ce dernier qui, à travers son corps inerte, ouvre la voie d’un propos plus fondamental, plus naturel. La mort animale exprime plus radicalement un vivant humain, sans le savoir, bientôt tué par son désir de posséder. Cette mort fait apparaître une identification singulière, qui laisse l’homme nu face à lui-même : « l’être intime, la vie privée de chacun14 » dit Beuys. Cette situation, elle aussi en miroir, le révèle avec plus d’efficacité, mais donne paradoxalement encore plus de place à l’inatteignable animalité, à cette nature dont l’homme a voulu obstinément se couper. Mais le lièvre, même mort, est encore, selon les mots de Beuys lui-même, « en rapport avec la naissance15. »
Pour moi, le lièvre est le symbole de l’incarnation […], il s’enterre, il se creuse un terrier. Ce que fait le lièvre, s’incarner profondément dans la terre, l’homme ne peut le faire de manière radicale que grâce à son intelligence à l’aide de laquelle il se frotte, se heurte et creuse la matière (la terre) afin d’en pénétrer les lois16.
Est-ce à une réincarnation, une renaissance, une révolution ou tout cela à la fois que convie Beuys dans sa performance ? Dans Coyote, l’animal a achevé sa réincarnation, repris possession de son territoire, dominé sa peur de l’autre (à commencer par l’homme).
Le territoire récepteur, la galerie, a lui aussi une configuration et une organisation propices à l’avènement de ce dialogue corporel. Une pièce dont les issues sont grillagées, dépourvue de toute décoration pouvant rappeler la présence humaine, donne au white cube toute sa valeur d’espace laboratoire, mais aussi d’espace projectif. Ce concept scénographique, qui se généralise à l’époque de la performance, a pour but l’effacement du lieu d’exposition derrière le phénomène de l’exposition. Ici, le white cube, lieu principiel, dernier stratagème d’un monde de l’art dont Beuys entend radicalement se distinguer, va pourtant rendre plus lisible encore les données et la manifestation de l’expérience. Durant cette cohabitation, chaque matin17, un exemplaire du Wall Street Journal est déposé dans l’espace de la performance. Le choix n’est pas anodin ; le quotidien est le porte-voix d’une économie qui entend réguler et dicter le « cours » du monde. Le journal est aussi une référence géopolitique forte puisque le cœur de cette économie se trouve à quelques rues de la galerie René Block où a lieu la performance. Le journal et l’univers dont il est l’organe sont revisités, ou « relus », selon les nouveaux codes que met au jour l’action : l’animal, en le prenant pour litière, l’intègre à ce territoire hybride qu’il bâtit en collaboration avec l’artiste.
L’espace scénique recréé par Beuys et le coyote dans cette galerie pourrait être compris comme une mise en application de la théorie du « quatrième mur », qu’on trouve chez Denis Diderot et qui est développée par le metteur en scène et théoricien Constantin Stanislavski. Le concept a ouvert la voie à une forme d’hyperréalisme selon laquelle l’acteur fait corps avec son personnage à tel point que le spectateur en peut ressentir un trouble projectif. Ce dernier se retrouve l’observateur, presque le voyeur, de l’intimité d’un être qui semble vivre comme s’il était hors-scène, étranger à tout souci de représentation. Dans l’esprit du public, perçant ce quatrième mur immatériel, cette représentation peut alors paraître « ob-scène » – au sens propre comme figuré.
Il en est de même dans ces deux performances de Beuys. Dans Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort comme dans I like America and America likes Me, le public assiste à l’action qui se déroule, séparé de l’artiste tantôt par une vitre, tantôt par une grille, mais il est laissé à la porte de ses échanges avec l’animal, mort ou vif. Il ne perçoit pas tous les propos, n’est pas en mesure de pouvoir décoder tous les signes, mais, dans l’entre-monde (un « zwischen land18 », pour reprendre l’expression de Freud), qui s’ouvre, il saisit la possibilité d’une réconciliation, à laquelle il n’est pourtant pas préparé. Ce quatrième mur vient marquer voire redoubler la frontière que l’esprit humain a depuis longtemps tracée entre lui et les autres animaux.
D’autres artistes vont également tenter d’éprouver la réalité et la solidité de cette frontière morale dont les scientifiques et les intellectuels, par ailleurs, sont de plus en plus nombreux à démontrer la porosité, ou la fragilité. C’est le cas d’Oleg Kulik, qui, par ses actions, va mettre au-devant de la scène cette limite dont il entend ébranler la rassurante existence.
Kulik : jouer à (se) faire peur.
Né à Kiev en 1961, Kulik a commencé par suivre un cursus en art et en géologie. Cette double formation va inspirer une œuvre traversée par des enjeux multiples, esthétiques, biologiques et territoriaux. Ses premières expositions à Moscou, au milieu des années 90, le détournent rapidement de sa vocation initiale de directeur de galerie. Inspiré tant par les actionnistes viennois que par les performances de Beuys, il s’illustre de façon retentissante par des interventions dans lesquelles le point de vue animal, et notamment celui du chien, est ouvertement adopté.
Kulik choisit des lieux symboliques pour inaugurer une série d’actions en « homme-chien » – aussi nommées Mad Dog –, grâce auxquelles il devient rapidement connu du grand public. Cette performance, par l’exhibition de son corps nu, et suivant des comportements qui n’appartiennent qu’au chien, possède néanmoins une dimension à la fois politique, sociologique, ethnologique et éthique, fondée sur la représentation canine. À Moscou, lors de sa première apparition en homme-chien, Kulik entend protester contre la fermeture des squats d’artistes décrétée par les autorités. Quelques mois plus tard, il récidive en perturbant le vernissage de l’exposition collective « Signs and Wonders » de la Kunsthaus de Zürich, puis la manifestation « Interpol » à Stockholm, qui se veut le trait d’union entre l’Europe de l’Est et celle de l’Ouest. Tenu en laisse, il aboie, flaire, guette, investigue les lieux à la manière de n’importe quel canidé. Il ne s’agit pas d’une simple forme de mime, dans laquelle l’artiste se serait grimé en animal, mais bien du jeu d’un acteur en proie à une métamorphose comportementale.
Il n’a recours à aucun accessoire, costume ou autre artifice qui seraient destinés à le rapprocher de l’apparence canine. Seule une laisse (tenue par un acolyte à peine plus habillé que lui), vient retenir sa furie animale – un déchaînement dans lequel, par ailleurs, se devine bien plus l’homme que la bête19. De fait, l’univers humain n’est jamais loin : aussi bien dans le geste de maîtrise, matérialisé par la laisse, que dans l’imagerie associée à certaines pratiques sexuelles, auxquelles appartiennent les rares accessoires utilisés. Serait-il alors possible de voir, dans cette manifestation pulsionnelle, l’un des ressorts de la performance ? La scène sexuelle, omniprésente chez l’artiste, loin de représenter une traduction métaphorique du pouvoir de l’humain sur la nature, et sur ses congénères, serait alors à comprendre comme l’expression in medias res d’un langage animal perverti par l’humanité.
Le rapport que l’homme entretient avec les autres animaux est parfois du même ordre. La domination, outrepassant l’instinct de prédation, peut prendre l’apparence du sadisme le plus cruel. Le fait que Kulik ait choisi la figure du chien et qu’il l’ait associée dans ses performances aux accessoires sadomasochistes s’inscrit dans une filiation iconographique tout à fait révélatrice. Ce type de relations humaines projetées sur le monde animal est une construction de l’esprit, un véritable fantasme. Notons que, pour les animaux, la nutrition ou la défense du territoire, notamment, ne justifient pas des pratiques allant de la négligence à la mutilation, hors la situation proprement dite du combat. En règle générale, agir de manière sadique ou masochiste ne fait pas sens, du point de vue animal.
De plus, la question territoriale se retrouve au centre de la démarche dans laquelle s’engage l’artiste, par son humanité mise à nu. L’Europe de l’Ouest faisait figure à l’époque de territoire des libertés, des Lumières, d’une économie raisonnée et raisonnable, de la communauté des bien-pensants. L’Europe de l’Est, dont est issu Kulik, était, à l’inverse, le lieu de la répression, d’un modèle économique en perte de vitesse et surtout d’une forme de bestialité politique. Cette dernière expression n’est d’ailleurs pas anodine. Chez l’artiste russe, bestialité et caractère animal jouent souvent de concert, contribuant à mettre à jour un paradoxe. En effet, la bête n’est pas, selon Kulik, celle que l’on croit ; il faudrait bien plutôt la chercher du côté de l’homme qui, maîtrisant le langage, s’octroie le pouvoir de dominer tous les autres animaux20.
Kulik joue la symbolique de la bestialité que le chien peut idéalement incarner21 pour mieux déjouer un écueil linguistique et sémantique. Évacuant, dans « l’homme-chien », ce double dont ne se départit jamais tout à fait l’acteur, Kulik ne s’abandonne-t-il pas, par cette posture dépourvue de toute distanciation apparente, à un état encore plus radical ? Se fait jour l’urgence brute et brutale de l’expression. Cette scène extrême vise un public qu’il ne cherche pas à ravir, à combler ; il n’en espère aucune complicité, aucun apitoiement, aucune forme de reconnaissance. Kulik cultive le malaise révélé par l’hostilité qu’il éveille à dessein chez le spectateur, ou plutôt le badaud, devenu acteur malgré lui, brutalement pris à partie par ce contre-spectacle, cet anti-théâtre.
Cette prise de position immédiate ne serait-elle qu’un des modes d’expression de ce que Jean-Marc Proust nomme « le programme zoophrénique » observable dans de nombreuses œuvres de Kulik ? L’art zoophrénique22, qui tente aussi bien la percée de la conscience animale que la libération d’instincts et de pulsions également humains, « pourrait se définir comme un programme d’entredéchirement entre l’âme, la bête représentée et celle qui ne sommeille plus chez l’artiste, mais qui s’exprime avec cette violence […] des pays de l’Est qu’Oleg Kulik semble essayer d’exorciser23 ».
Lorsqu’il fait de son propre corps ce théâtre de gestes vindicatif, Kulik investit sciemment la bête pour mieux en transcender l’image, pour atteindre ce vécu animal capable d’ébranler la conscience humaine. L’exactitude de la reproduction comportementale devient donc pour Kulik une préoccupation centrale. Qui plus est, au-delà de l’expression d’une violence à peine réprimée, il veut aussi laisser transparaître une souffrance animale. Afin d’y parvenir il va permettre au public de s’identifier partiellement à lui. En effet, lors de ces actions, il est impossible d’oublier momentanément la présence de ce corps humain, qui est aussi celui de l’artiste et par définition, ou par extension, celui du spectateur. Même si la « canidité » est la première visée par la performance de Kulik, c’est bien l’homme qui à la fois agit de son plein gré et semble ouvertement pointé. Certains instincts, comme celui de protection par exemple, soudain stimulés, conduisent le public à balancer entre diverses émotions, divers états de conscience. Ce phénomène est accentué par la posture du performeur qui va au-delà d’un simple rôle de composition. Le public, moralement partagé, se retrouve donc au sein d’un monde intermédiaire et instable, plongé dans la difficulté à saisir une identité définitive. L’identification fluctuante peut-elle finir par créer, en conscience, un territoire où l’homme et l’animal ne feraient plus qu’un, offrant soudain un éclairage nouveau sur l’un comme sur l’autre ?
Mais Kulik devient également un « témoin », dans et par la chair. Incarner c’est aussi déjouer par le corps. En jouant la sauvagerie, la violence, l’étrangeté, il veut retourner contre ses juges le miroir d’une animalité à laquelle ils n’échappent pas et par là les déstabiliser, ou, même, les destituer. Le civilisé n’est pas celui qui se targue de l’être, la violence même de son propos révèle une autre bestialité, plus sournoise, plus tolérée.
Le chien, par le processus engagé, ouvre sur la notion de scène mobile, forme paradoxale de territorialisation de l’errance. À Moscou ou Stockholm, au cours de son intervention, Kulik mord la main qu’un spectateur lui tend puis le renverse sur la chaussée. Par le refus de cette signification simple de reconnaissance, voire d’intégration, l’artiste-chien remet subitement en cause la trop évidente bonne conscience éclairée qui dispense son auteur, à travers un tel geste, d’en appliquer réellement la politique. L’acte s’apparente alors à un fait-divers, puisque Kulik est arrêté par la police suédoise. L’arrestation poursuit, autant physiquement que politiquement, cette confrontation d’un être, perdu entre humanité et animalité, avec le contexte social dans et pour lequel elle a lieu.
En adoptant le comportement d’un animal agressif, le performeur, à l’image de Beuys, en appelle à une renaissance sans concessions, le retour à des valeurs authentiques. En 1997, Kulik rend d’ailleurs directement hommage à l’artiste allemand, en interprétant, à New York également, pour la Deitch Projects, I Bite America et America Bites Me (Je mords l’Amérique et l’Amérique me mord). Une véritable relecture du protocole de la célèbre performance de Beuys est pratiquée par Kulik. Muni d’un harnais, Jeffrey Deitch était venu chercher l’artiste russe à l’aéroport, nu et grognant, pour le conduire dans sa galerie, où il devait être enfermé dans une cage durant deux semaines, construite dans une cloison pour l’occasion. Uniquement alimenté de nourriture pour chien, Kulik, une fois de plus, offre au public impressionné le spectacle de son incarnation animale. Au cours de cette action, les visiteurs étaient même invités à entrer dans la cage pour interagir avec le performeur, aux comportements imprévisibles, déstabilisants. À bien observer les positions de Kulik dans ces œuvres, c’est d’« animalisme » humain qu’il conviendrait de parler, plus encore que de zoomorphisme, c’est-à-dire de considération humaine d’enjeux animaux, que le rapport à l’espace met naturellement en évidence. La place et la définition de l’homme, comme référence rationnelle allant de soi, s’en voit alors bousculée.
Mais si le public observe attentivement les attitudes de ce performeur24, acteur aguerri (on trouvera comme un lointain écho dans l’animalisation opérée par Terry Notary dans le film The Square25), il en arrive à se demander si cet homme est réellement dominé par son animalité ou s’il n’est là que pour opposer la sienne à celle des passants (ou des spectateurs) interloqués. L’artiste – plus animalisé que zoomorphe – entend réaliser un piège moral. En effet, il révèle par son attitude ambiguë – entre animal et homme, mais surtout entre bête aimable et dangereuse –, la représentation clivée, ou proprement schizophrène26 (pour reprendre le terme de Gary L. Francione), que l’on se fait du vivant.
L’ambiguïté, voire l’ambivalence du rapport que nous établissons avec l’animal et que Kulik met ainsi au jour, ne constitue-t-elle pas la matière même des dernières réflexions de Derrida, réunies sous le titre L’Animal que donc je suis 27 ? L’anthropocentrisme s’y voit brusquement déjoué à l’occasion d’une expérience du quotidien des plus anodines en apparence. Le philosophe, surpris au sortir de la douche par le regard de son chat, éprouve soudain un mélange de stupeur et de fascination face à ce monde pourtant familier qui transparaît dans les yeux de l’animal l’observant. S’engage une pensée touchant « à nu » les fondements d’une humanité instauratrice de « sa propriété » et de « sa supériorité sur la vie dite animale28 ». Le nu, pour Kulik, n’est pas un exercice académique ou encore une revendication naturaliste dont l’animal ne serait que l’une des figures. Pour lui, être nu, être en animal, c’est accepter d’aller plus loin dans le transfert vers cet « autre-là ».
Kulik veut-il réunir, voire confondre l’homme et le chien, l’observant et l’observé ? Veut-il montrer à l’homme une animalité dont il ne pourrait, malgré ses plus vifs efforts, être totalement exclu ? Kulik est nu dans ses actions, mais, au-delà de la nudité qui pourrait offrir la vision d’une communauté corporelle, c’est la chair qu’il donne à voir, et qu’il laisse s’exprimer. L’expression de la chair, c’est peut-être ce que recherchait Diogène à travers une forme d’essentialité nue29 : un corps non pas confronté à la nature, ni même vivant dans la nature, mais bien appartenant à la nature et participant d’elle.
Kulik élève au rang de raison (aussi vivante que celle dont l’homme se croit seul investi), une « raison animale » qui, si elle se distingue par bien des aspects de la raison humaine, ne lui est pas pour autant résolument étrangère. C’est sans doute à l’expérimentation de ce décloisonnement, ou du moins d’une fluidité30 entre les consciences, entre les mondes, entre les règnes, que Pierre Huyghe, pour sa part, invite les spectateurs de ses œuvres. Interrogé à l’occasion de sa rétrospective au Centre Pompidou, l’artiste français déclare : « Je cherche non à définir la relation entre des sujets, mais à inventer les conditions qui peuvent déboucher sur la porosité, l’écoulement, l’indéterminé31. »
Huyghe : L’homme démasqué ?
Pierre Huyghe cultive l’interpénétration entre réalité et fiction, ouvrant sur une revisitation des lieux, une réinterprétation des pratiques, des figures, une relecture des objets humains, bien souvent favorisées par l’omniprésence de l’animalité. Mais si l’animal fait partie de ses films, de ses installations, et de ses performances, acquiert-il pour autant le statut d’acteur – même s’il est manifeste qu’il n’est pas étranger au jeu, voire à la mise en scène – ? Dans Human Mask32, réalisé en 2014, l’animal central, et seul véritable personnage du film, est un singe masqué qui évolue dans un restaurant abandonné, non loin de Fukushima. Cet emplacement pourrait d’abord être compris comme le site témoin de l’œuvre humaine, parachevée par une composition atomique finale. Ce site géographique dévasté pourrait être l’illustration de la sombre et laconique remarque de Gilles Deleuze, à la résonance sans cesse plus prophétique : « l’homme est un animal en train de dépouiller l’espèce33 ».
Dans l’univers intriguant de Huyghe, « l’animal pris au piège joue le jeu de la condition humaine, répétant à l’infini un rôle inconscient34. » Si les actions du singe, pour le spectateur, semblent au premier regard répondre à une forme de jeu, c’est d’abord parce que la tentation est grande de projeter sur les gestes du personnage un agir humain, une volonté. Huyghe conçoit son travail comme un grand laboratoire vivant qu’il vient présenter à un public, lequel croit assister à un spectacle, et vit, en réalité, une expérience35. Et dans cette expérience, l’animal tient la place centrale.
Le tournage de Human Mask a été réalisé dans une maison japonaise traditionnelle. Le décor, plongé dans l’obscurité, fait ressortir la blancheur du masque porté par le personnage évoluant dans les diverses pièces de la maison. Ce clair-obscur accentue le caractère d’exemplarité du faux visage, vide de toute expression. Tout se passe comme si la tête se trouvait « défacée », comme si le centre d’intérêt de la scène était aveugle, à rechercher ailleurs. Les sources d’inspiration du film sont autant à trouver du côté de la tradition du théâtre japonais, le Nô, par exemple, dans lequel les personnages principaux portent un masque, que dans les images circulant depuis 2002 sur internet d’un singe, masqué lui aussi, servant dans un restaurant de Tokyo. Attraction, mascotte, voire logo, le singe-serveur y porte d’ailleurs les accessoires que l’on retrouve dans le film. Seulement, ce qui n’était qu’une animalité de foire, ou un commerce d’images jouant d’une économie de moyens pour une séduction maximale, se trouve transformé chez Huyghe en un véritable manifeste pour une redéfinition de l’humanité. L’efficacité du dispositif, en dépassant le grotesque latent, conduit à une réflexion éthique et ontologique.
Devant l’écran panoramique sur lequel est projeté Human Mask, le public, croyant pouvoir bénéficier du confort de la distance qu’offre le visionnage d’une œuvre cinématographique, peut difficilement échapper au trouble qu’il ressent soudain lorsque l’acteur et le subterfuge se trouvent découverts. Dans le film, le masque blanc – bien moins expressif que ceux employés dans le Nô – , ainsi que la perruque et la robe noires de la « fillette » sont là comme les accessoires principaux d’une théâtralité, mais celle-ci est entièrement revisitée de l’intérieur par l’animal. C’est par le corps que s’exprime l’animalité, ne faisant plus de l’humanité qu’une forme de souvenir, une apparence évidée, un pur support projectif. Dans la pénombre du décor, la pâleur et l’inexpressivité du masque viennent encore rappeler que dans la tradition japonaise les fantômes ont une place importante.
Au Japon, les scènes de théâtre et les maisons sont souvent hantées par les yūrei, les esprits des personnes ayant connu de leur vivant la douleur, le regret, la colère…, et qui se refusent à abandonner des lieux dans lesquelles elles n’ont pas obtenu satisfaction. Ces esprits, qui ne veulent pas quitter la scène des vivants, peuvent toutefois entrer en communication avec eux. Huyghe aurait-il décidé de créer une chimère à partir de la silhouette d’une fillette fantomatique et du corps d’un singe, dont seules les pattes et parfois les yeux sont visibles ?
Après avoir donné vie à de nombreux personnages humains à tête d’animal, Huyghe propose, dans Human mask, de donner à voir les évolutions d’un corps animal « portant » une tête d’homme. Dans cette œuvre un autre renversement a lieu. L’artiste « inverse le rapport de force36 entre le visage et le corps. Le visage, support principal de l’expressivité, qui concentre ordinairement les regards et permet, si ce n’est une projection, une forme d’interaction, d’échange, devient radicalement « neutre ». Le corps se révèle soudain le lieu unique de l’expressivité. Et par le corps c’est l’animalité qui trouve à pouvoir s’exprimer. Dans cette remise en cause des parties animales et spirituelles du corps le rapport de force animal/humain se trouve également subverti. L’absence d’humanité que le masque blanc semble ostensiblement afficher n’est pourtant jamais totale. Il est impossible pour le spectateur de se défaire absolument d’un instinct de projection « naturel ».
Le masque blanc peut aussi évoquer la toile ou l’écran, fonctionnant comme un support de projection. L’utilisation du masque est récurrente dans le travail de Huyghe. C’est pour lui l’occasion de pratiquer une dissociation entre l’image produite par la combinaison du corps et du masque, et la réalité qu’elle recouvre. Fréquemment, dans les œuvres de l’artiste, l’animal représenté, et en même temps « absenté », est réincarné par l’homme, qui souvent vient à en porter le masque37 ; c’est le processus inverse que développe Huyghe dans Human mask. Bon nombre d’enfants, d’ailleurs, ne font-ils pas de même, lorsqu’ils dotent leur peluche d’un esprit animal ? Seulement, ici, le fantasme enfantin, et la charge affective qui l’accompagne, sont mis au service d’une raison étrange : la relecture de territoires humains. Les faits et gestes, qui peuvent appartenir à un quotidien humain, se trouvent paradoxalement réincarnés grâce au masque. Tout comme dans Human mask, c’est le masque, avec le vêtement, qui a le pouvoir de révéler la vie.
Dans ce spectacle en huis-clos, toute l’importance de la scène symboliste réside dans l’apparence juvénile38 du personnage. En effet, après observation attentive du protagoniste, un doute survient, et contamine, de proche en proche, plusieurs registres. L’identité de ce personnage, qui pourtant ressemble à une fillette, n’a rien d’évident – et cette indétermination même constituerait un rappel du théâtre Nô, où tous les personnages, masculins et féminins, sont joués par des hommes. De plus, l’identification du spectateur se voit contrariée par l’apparition d’une forme d’animalité, dans la moitié basse du corps, et rentre en contradiction avec le haut du corps. Quel genre de fillette est-ce donc ? Le rapprochement entre l’enfant et l’animal est non seulement une pratique courante dans différentes formes de représentations, mais il s’agit aussi d’une forme de réflexe projectif automatique, fréquent dans la perception même que nous avons de l’animal. L’œuvre de Huyghe, opérant une fusion animée, et par là une confusion, faisant douter du genre, de l’âge et de l’humanité de ce personnage unique, parvient ainsi, du point de vue sémantique, à un caractère universel.
On pourrait d’abord penser que cette confusion donne vie à une chimère. Mais la force de projection qui est accentuée par le rapport – affectif – que nous établissons entre l’enfant et l’animal est perturbée par une véritable indécision. L’ambiguïté réside dans le fait que notre conscience oscille sans cesse entre une propension à l’identification avec cette présence humaine fantomatique et une résistance face à l’incarnation animale qui est, elle, bien présente. Face à cette alternative, le choix semble alors impossible. A-t-on affaire à une nouvelle forme de singerie ? Huyghe aurait pu demander à l’animal de faire l’homme, de le singer. Mais, au contraire, il le laisse libre de ses faits et gestes. Et, à l’inverse de la scène d’origine, relayée par les réseaux sociaux, le caractère comique et la dérision qu’avait au départ la mascarade, sont totalement absents. Cette seconde prise de vue39, sous-tendue par une réflexion sur deux perceptions, celle de l’homme et celle de l’animal, invite cette fois à repenser le rapport entre les deux « ordres », les deux « consciences ». Ne pouvant plus se cacher derrière l’insouciance affichée d’une réaction moqueuse, le spectateur n’a pas d’autre choix que d’affronter le reflet sans complaisance de son humanité.
Avec Huyghe, l’homme n’est pas singé. L’animal reste animal, au sein d’un monde dont il semble constituer le seul survivant. Car ce n’est pas la figure animale que Huyghe convoque dans Human mask, mais, littéralement, sa présence et l’effet qu’elle suscite40. Dans le film, l’homme « habité » est en fait un animal « habillé » et inversement : le personnage du film pourrait représenter une autre façon de viser et de caractériser l’homme. Huyghe représente fréquemment une humanité aussi naturelle que sociale, indistinctement.
Le masque d’homme serait-il pour Huyghe une façon de replacer – et non de remplacer – l’homme dans son œuvre ? S’agit-il pour lui de faire un sort à l’omniprésence humaine, visée à travers celles de l’acteur, de l’observateur et du créateur ? Ce film, qui peut aussi être vu comme un documentaire animalier, en masquant l’animal, arrive-t-il à démasquer sa vie intime ? On peut dire qu’avec Human mask l’anthropomorphisme est à la fois exacerbé et rendu impossible, le point de vue de l’animal est celui qui subsiste, par défaut. L’homme, absent, n’est plus à deviner que par les objets (masque, vêtement, perruque, maison…) qui restent. Huyghe laisse « toucher du regard » l’impensable : avoir le point de vue de l’animal sur l’homme – ou du moins sur ce qui de lui subsiste. L’animal, en clair-obscur, laisse deviner l’ombre portée d’une autre humanité, qui semble avoir disparu comme individuation et comme groupe. Mais le regard que le singe nous renvoie, pour reprendre les mots de Jean-Christophe Bailly, « suppose l’existence d’un espace de délibération et de transfert », ouvrant sur « une pensée, juste une pensée, une évasion hors de l’étroitesse spirituelle41. » Les sociétés auxquelles l’artiste donne forme, voire vie (sans les « mettre en scène »), en règle générale, ont leurs us, leurs codes, leurs activités propres. Huyghe se réfère à Giorgio Agamben : « l’homme est l’animal qui doit se reconnaître humain pour l’être42 » ; l’artiste chercherait-il alors à révéler la construction de cette humanisation « ontologisante », visant à l’infini sa propre (re)connaissance ?
Chez Huyghe, le singe devient, comme chez Beuys, l’ambassadeur de l’animalité ; mais, cette fois, l’animal rejoue la condition humaine. Avec une prédilection affichée pour le retournement des valeurs et un goût certain du paradoxe, Huyghe montre que la présence fantomatique n’est pas là où on la soupçonne. L’animal paraît escamoté par le masque, englouti dans un environnement sombre. La bête, presque constamment présente à l’écran, donne vie à cette marionnette humaine, ce fantasme d’humanité. Ultime inversion, ou révolution complète : ce n’est pas le singe qui se voit « résumé » à une figuration de son espèce, mais bien l’homme lui-même.
Le titre de l’œuvre indique que c’est bien l’homme qui est visé ; l’animal ne sera là, encore une fois, que pour le révéler. Derrière l’attention portée au décor, c’est l’espace du singe qui finit par s’imposer. À travers son comportement, le rythme de ses gestes, dicté par des intentions qui nous échappent, c’est la temporalité animale43 qui donne corps, là encore, à une certaine obscénité : les images peinent à devenir des scènes tant l’acteur animal, une fois sa présence mise à jour, déjoue à son tour le théâtre humain. Comme chez Beuys et Kulik, il participe de la déconstruction du jeu, de la « défictionnalisation » de notre imaginaire, mais aussi de sa revitalisation. Les trois artistes convoquent l’animal afin qu’il aide l’image à se détacher du langage, qu’il libère de la vision aristotélicienne, c’est-à-dire du conditionnement « d’une culture rationnelle des pouvoirs de l’image44. » La temporalité, au cœur du travail de Pierre Huyghe, est revisitée selon des lois toutes personnelles, à la fois incongrues et intrigantes. Ici c’est bien le temps de l’animal qui permet un décrochage45 vis-à-vis de l’espace et de l’espèce humain(e)s.
Elias Canetti, dans Le Territoire de l’homme, note : « chaque fois qu’on regarde un animal avec attention, on a le sentiment qu’un homme y est caché et qu’il se paie notre tête46. » Dans le film de Huyghe, sans cesse tenté par l’identification, le spectateur peut choisir de passer outre, et de vivre une animalité humaine, quelque chose qui n’est ni de l’ordre du simiesque (et encore moins de la singerie, qui n’est que mascarade), ni de l’ordre de l’humain, cet être « autoconstitué », pour reprendre le mot de Schaeffer et Agamben. Et, ainsi, de manière dialectique, libéré des premiers processus identificatoires, il lui devient plus facile d’entrer dans les coulisses du monde humain et de ses représentations. Huyghe ne dit-il pas, à ce sujet, qu’il aime à explorer l’envers des décors et éveiller « chez le spectateur une prise de conscience des traits constitutifs de la représentation47 » ?
Cette « pensivité48 » que Bailly perçoit dans l’œil d’un chevreuil, ou que Derrida surprend dans celui de son chat qui le regarde, et que Huyghe saisit parfois derrière le masque, ouvre sur une forme supérieure d’introspection. Ce mouvement en retour ne s’appuie plus sur l’interprétation de ce regard-là, mais sur un transfert dans sa direction. Pierre Huyghe, mais aussi Joseph Beuys ou Oleg Kulik, ne tentent-ils pas, chacun à leur façon, de cultiver, pour mieux le dépasser, le paradoxe d’une animalité humaine ? Est-ce ce choc dialectique qui les anime, dépassant l’opposition entre animalité et humanité ? La notion d’humanité n’est-elle plus pour eux qu’un leurre ? L’animal, se révélant avec Beuys, Kulik et Huyghe, le mieux placé pour « montrer » l’homme, et non plus « faire l’homme », ne peut-il pas nous aider à échapper à la singerie humaine ? Jouer la disparition de cette humanité-là ne constitue-t-il pas aussi une manière d’envisager la condition animale ?
NOTES
1Jean-Marie Schaeffer, La Fin de l’exception humaine, Paris, Gallimard, 2007, p. 14.
2Élisabeth Lévy et Jean-Marie Schaeffer, « L’homme un animal comme les autres ? », Le Point n° 1890, 4 décembre 2008, p.108.
3Jean-Marie Schaeffer, « Pour la connaissance de l’homme », Le Débat n° 152, Marcel Gauchet dir., Paris, Gallimard, 2008, p. 149.
4Michel Surya, Humanimalité : matériologie III, Paris, Léo Scheer, 2004, p. 11-12.
5Le « musée imaginaire » est un concept d’André Malraux, qui donne son titre à un essai en 1947 puis, en 1951, à la première partie des Voix du silence, texte remanié en 1965.
6La galerie Schmela.
7Joseph Beuys, catalogue de l’exposition « Joseph Beuys », Musée de Bâle, 1969, p. 21.
8Il prend toutefois soin de replacer l’homme dans une dynamique évolutive, dans laquelle l’animalité est qualifiée de « niveau inférieur ».
9Non seulement l’homme est d’abord un être de nature, mais la perte du lien avec celle-ci signe sa condamnation.
10Point commun avec le coyote, puisque la pie est considérée comme l’un des oiseaux les plus intelligents au monde.
11Dans les années 70, Beuys n’est pas le seul artiste à cohabiter avec un animal. En effet, en 1976, l’artiste britannique Rose Finn-Kelcey a passé deux jours dans une galerie de Covent Garden en compagnie de deux pies. Cette performance, One for Sorrow, Two for Joy, est, elle aussi, destinée à établir un dialogue avec l’animal. Tout en leur offrant de la nourriture et des objets, Finn-Kelcey tente une transcription du chant des oiseaux. L’artiste, dont les actions, à l’instar de Beuys, ont une dimension politique et sociale, veut se rapprocher de ces volatiles également dénigrés par une certaine tradition populaire, qui depuis longtemps les associe aux rites de sorcellerie. À travers One for Sorrow, Two for Joy, cette artiste-interprète entend établir elle aussi un échange d’animal à animal, redéfinir la place de l’humain – la performance a lieu au ras du sol, à hauteur de pie – et interroger l’expression de son pouvoir sur le reste du vivant. Finn-Kelcey et Beuys, grâce aux dispositifs qu’ils mettent en place, font l’expérience d’un autre rapport au signe animal.
12Les éléments que Beuys utilise dans ses performances, tous issus de son patrimoine autobiographique (cire, graisse, cuivre, os…) composent un langage matériel – personnel et suprahumain – auquel l’action va donner sa syntaxe.
13« J’appelle sculpture sociale… cette forme de sculpture [qui] associe et interpelle tout le monde. Elle renvoie à l’existence, à l’être intime, la vie privée de chacun. Ainsi aimerais-je que l’on considère mon travail comme une vision anthropologique de l’art… c’est le point de départ d’une vision alternative du futur… Je suis de ceux qui croient que seul l’Art… est à même de nous libérer et de nous conduire vers une société alternative. » Joseph Beuys, Conversation avec Eddy Devolver, Paris, Tandem, 1998, p. 22. Pour l’artiste allemand une certaine énergie s’exprime à travers ses œuvres et performances, quelque chose qui « dit » en même temps qu’il crée. Pour lui, « tout ce qui concerne la créativité est invisible, est substance purement spirituelle. Et ce travail, avec cet invisible, voilà ce que j’appelle la “sculpture sociale”. Ce travail avec l’invisible est mon domaine. D’abord, il n’y a rien à voir. Ensuite, lorsqu’il s’incarne, il paraît d’abord sous forme de langage. » (Joseph Beuys, cité par Irmeline Lebeer, dans L’Art ? C’est une meilleure idée !, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1997, p. 66.)
14Propos de l’artiste, dans Joseph Beuys, catalogue de l’exposition, Paris, MNAM/Centre Pompidou, 1994, p. 148.
15Ibid.
16Ibid.
17Charles Dreyfus confie que son ami « n’est pas resté, comme on peut le lire souvent, trois jours et trois nuits entiers avec l’animal. J’y étais et j’ai dîné avec lui deux étages plus haut – mais cela est une autre histoire que l’on peut lire en détail autre part. » (Charles Dreyfus, « Beuys et l’animal », Inter n° 113, 2013, p. 14)
18Sigmund Freud, « Lettre du 21 septembre 1897 », in The Complete Letters of Sigmund Freud to Wilhelm FIiess, 1887-1904, Londres, Harvard University Press, 1985.
19Peut-on voir dans cette performance une forme de réponse détournée à ce qu’exprime Cioran dans cet aphorisme ? « Au zoo. Toutes ces bêtes ont une tenue décente, hormis les singes. On sent que l’homme n’est pas loin. » (Emil Cioran, Écartèlement [1979], Paris, Gallimard, 1995, p. 1452). Avec Kulik on a affaire à homme, en situation de chien, mais qui, malgré son comportement, ne peut se défaire de cette indécente tenue d’homme. Homme se faisant chien ou singe, cet animal-là est trop imparfait dès lors qu’il commence à nous ressembler. Le mystère de l’altérité ne prend pas.
20On peut se référer à l’épisode biblique auquel Jacques Derrida se reportera lui aussi, celui de la nomination des animaux par Adam sur l’injonction divine.
21Cf. Tina Merandon, série « Les Chiens », 2011.
22Parmi les nombreuses actions et photographies mettant en scène une relation intime entre l’artiste et diverses espèces de mammifères, d’oiseaux ou de poissons, les séries « Zoofrenia I » (1997) et « Zoofrenia II » (1998) le montrent dans les positions les plus intimes avec un chien, une chèvre ou des oies.
23Jean-Marc Proust, « Oleg Kulik, de la zoophrenia au Messie », Slate, 11 mars 2011, http://www.slate.fr/story/35195/oleg-kulik-chien-messie-oratorio (consulté le 14/10/2014).
24Surtout si, retransmise, la distance du médium vidéo et la temporalité particulière que lui confère son enregistrement libèrent le spectateur d’une part de sa réaction – et de sa position – d’être humain qu’il peut plus difficilement réprimer s’il assiste en direct à la performance.
25The Square (151 minutes, 2017) est un film réalisé par Ruben Östlund (co-production France/Suède/Allemagne/Danemark). Christian, père de deux enfants, divorcé, conservateur réputé d’un musée d’art contemporain, prépare une exposition intitulée « The Square », proposant notamment une installation incitant les visiteurs à faire preuve d’altruisme. La séquence la plus troublante est le véritable happening exécuté à l’occasion du dîner organisé pour remercier les donateurs du musée. L’homme, torse nu, interprété par Terry Notary – connu pour la justesse de ses incarnations simiesques –, amuse, intrigue d’abord, pour peu à peu terroriser l’assemblée. Imitant un grand singe de plus en plus agressif, il bouscule sans ménagement les convives. Il ira même jusqu’à simuler le viol d’une jeune femme tétanisée, obligeant le public à sortir de sa position confortable de spectateur. « Malaise dans la civilisation. » (Guillemette Odicino, Telerama, 17 octobre 2017 http://www.telerama.fr/cinema/films/the-square,516813.php)
26La « schizophrénie morale » est une notion développée par Gary L. Francione, entre autres dans Introduction to Animal Rights: Your Child or the Dog?, Philadelphie, Temple University Press, 2000.
27Jacques Derrida, L’Animal que donc je suis, Paris, Galilée, 2006.
28Ibid., p. 40.
29Il n’est qu’à songer à ce que l’on se plaît à rapporter à son sujet : le fait qu’il marchait pieds nus, qu’il cassa son écuelle afin de boire à même ses mains, et qu’il fit à Alexandre cette unique requête de bien vouloir s’ôter de son soleil. Pour le philosophe, jouir de n’avoir aucune médiation entre lui et la terre, entre lui et l’eau, entre lui et le soleil, formait la condition première de l’accès à la sagesse.
30Pierre Huyghe, à l’occasion de sa rétrospective à Pompidou en 2013, déclare à propos de son travail : « Je me concentre sur quelque chose qui n’est pas joué, mais qui existe, en soi. » Propos recueillis par Emma Lavigne, commissaire de l’exposition rétrospective « Pierre Huyghe », Centre Georges Pompidou, 2013-2014, https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource (consulté le 26/06/2016).
31Propos recueillis par Emma Lavigne, commissaire de l’exposition rétrospective « Pierre Huyghe », Centre Georges Pompidou, 2013-2014, https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource (consulté le 26/06/2016).
32Pierre Huyghe, (Untitled) Human Mask, vidéo couleur, 19’7’’, Coll. François Pinault, Paris, galerie Marian Goodman, New York, Hauser & Wirth, Londres, Esther Schipper, Berlin, Anna Lena Films, Paris, 2014.
33Gilles Deleuze, Instincts et institutions, Paris, Hachette, 1955, cité par Vincent Normand, Pierre Huyghe, catalogue de l’exposition, Paris, Centre Georges Pompidou, 2013.
34Caroline Bourgeois, dossier de presse de l’exposition « Accrochage », du 17 avril au 20 novembre 2016, Punta della Dogana, Venise, http://docplayer.fr/17886547-Dossier-de-presse-accrochage-17-04-2016-20-11-2016-commissaire-caroline-bourgeois-1-l-exposition-accrochage-2-liste-et-biographie-des-artistes.html (consulté le 21/01/2018)
35« En ce moment, je répète en boucle cette formule : il ne s’agit pas d’exposer quelque chose à quelqu’un, mais d’exposer quelqu’un à quelque chose. Quelque chose qui est là, en soi. » Propos de Huyghe rapportés par Jean-Max Colard, « Pierre Huyghe au Centre Pompidou : “J’intensifie ce qui est là” », Les Inrockuptibles, 12 novembre 2013, http://www.lesinrocks.com/2013/11/12/arts/pierre-huyghe-au-centre-pompidou-jintensifie-ce (consulté le 25/06/2016).
36Claire Moulène, « “Human mask” : le bal des animaux de Pierre Huyghe à Venise », Les Inrockuptibles, 10 mars 2016, lesinrocks.com (consulté le 26/07/2016).
37Comme par exemple dans Toison d’or, en 1993, ou Streamside day celebration, en 2003.
38La proximité que l’artiste établit entre de jeunes personnages et la figure animale apparaît de manière récurrente dans son œuvre.
39Pierre Huyghe aborde souvent la question de la reprise ou de la réappropriation. Dans Remake (100 minutes, 1994-1995), notamment, il remet en scène Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock (112 minutes, 1954), en faisant appel à des interprètes amateurs français et en transposant l’action autour de la cour intérieure d’un immeuble en chantier.
40Et pourtant, si quelqu’un se trouve ici représenté, c’est bien l’homme, et en premier lieu par ses vêtements, c’est-à-dire par une parure, support majeur de différenciation. Gil Bartholeyns rappelle que : « Si le vêtement participe toujours de l’établissement de l’identité humaine, nourrissant la tradition discontinuiste au sein même du paradigme darwinien, c’est parce que, placé d’abord au rang de qualité humaine, il se trouve désormais à cheval sur les deux grandes classes de critères distinctifs (culture/nature) qui structurent toute l’épistémè moderne : avec le vêtement, les distinctions culturelles se rapportent en fin de compte à des distinctions de nature, ou qui sont pensées comme telles : le vêtement pour la raison (l’objet et la technique), le vêtement pour le rapport à soi et aux autres (l’intériorité, la conscience, la pudeur), le vêtement pour la nécessité (la prématurité, l’inadaptation au milieu, l’outil de feinte à la chasse), le vêtement pour la sociogenèse (la sémiologie du corps) » Gil Bartholeyns, « L’homme au risque du vêtement. Un indice d’humanité dans la culture occidentale », in Adam et l’astragale. Essais d’anthropologie et d’histoire sur les limites de l’humain, Gil Bartholeyns dir., Pierre-Olivier Ditmar, Thomas Golsenne, Vincent Jouvet, Misgav Har-Peled, Paris, La Maison des sciences de l’homme, 2014, p. 136.
41Jean-Christophe Bailly, Le parti pris des animaux, Paris, Christian Bourgois, 2013, p. 52.
42Giorgio Agamben, L’ouvert. De l’homme et de l’animal, Paris, Rivages, 2002, p. 44.
43Tout comme celle du chien, de l’abeille, de l’araignée, de la fourmi, du bernard-l’hermite… participent d’un « décrochage » temporel venant redéfinir l’espace filmique ou celui de de l’exposition. Il y a souvent télescopage entre animalité et objets, milieux et corps humains. L’homme même, comme aspiré par une étrange vacuité, semble soumis à une temporalité inédite qui pourtant peut s’avérer naturelle.
44Pierre Huyghe, « Palerme, Sicile. Catacombes des Capucins, une photographie de Gilles Erhmann », dans Images et esthétique, Paris, Publication de la Sorbonne, 2007, p. 29.
45Il est amusant de songer que le titre de l’exposition collective présentée à Venise soit « accrochage ». Huyghe semble pour sa part, plus encore que revisiter le dispositif de l’exposition, interroger la façon dont nous nous exposons à nous-mêmes dans une société hypermédiatisée.
46Elias Canetti, Le Territoire de l’homme, réflexions 1942-1972, Paris, Albin Michel, 1978, p. 21.
47François Bovier, « Hitchcock et l’art contemporain : Remake. À propos d’une bande vidéo de Pierre Huyghe », Décadrages n° 3, 2004, p. 20.
48Jean-Christophe Bailly, Le Versant animal, Paris, Bayard, 2001, p. 33.
BIOGRAPHIE DE VINCENT LECOMTE
Vincent Lecomte est chercheur, enseignant et artiste. Docteur en esthétique et sciences de l’art, il est membre associé d’ECLLA (Études du Contemporain en Littératures, Langues et Arts) et enseigne notamment au département Arts plastiques de l’université Jean Monnet de Saint-Étienne. Il est l’un des administrateurs du site Animots (CNRS/EHESS/Sorbonne) et participe au comité scientifique des revues 2i (Braga) et Captures (Montréal). Ses travaux étudient, entre autres, les façons dont l’art convoque l’animal pour mettre en évidence d’autres consciences possibles du monde. Il a publié récemment L’Art contemporain à l’épreuve de l’animal, chez L’Harmattan dans la collection « Ouverture philosophique ».
Vincent Lecomte est plasticien et compositeur. Dans un laboratoire permanent, le dessin, la composition sonore et l’image animée contribuent à alimenter une recherche prenant la forme de l’accrochage, l’installation, la projection ou le concert. Ainsi, il expose régulièrement en France et à l’étranger. Médaille d’or en composition électroacoustique, il réalise des pièces sonores diffusées en public, en radio ou intégrées à des œuvres plastiques.