L’art des putes de Carlos Martin

Irène Sadowska Guillon

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La revanche des femmes

Un texte de Nicolas Fernandez de Moratin, dramaturge et poète (1736 – 1780) qui avec un humour décapant, une extraordinaire acuité et une audace cible à travers deux générations et les strates de la société depuis la population simple de la campagne, les bourgeois, les “intellectuels”, aux courtisans et à la cour royale de l’époque, les désordres et les arrangements avec la morale et les principes catholiques, le commerce du sexe.

L’art des putes écrit en 1780, l’année de la mort de son auteur, Nicolas Fernandez de Moratin, nourri de faits autobiographiques, parlant avec une totale liberté du sexe, du plaisir, de ce qui à l’époque et même encore aujourd’hui paraît scabreux, « malsain », a circulé longtemps sous le manteau et n’a été publié qu’en 1898. L’auteur se projette dans l’histoire du personnage Elias Cañabate, proxénète qui revendique sa condition d’inspirateur de l’œuvre de Moratin. On reconnaît dans l’histoire racontée des allusions et des références tantôt voilées, tantôt plus directes, à la réalité, aux mœurs dissolues et à l’hypocrisie de l’époque.

S’emparant de ce trésor de la littérature Jose Luis Esteban le transpose au théâtre et intègre dans son adaptation des passages érotiques, prélevés de textes d’auteurs de l’époque Tomas de Iriarte, Félix de Samaniego et de Moratin fils.

Tout en restant fidèle au texte qu’il utilise il va dans son adaptation à l’encontre de la misogynie de l’époque, de la vision de la femme comme objet de plaisir qui transparaissent dans L’art des putes de Moratin.

Il détourne en quelque sorte le texte d’origine pour en faire l’éloge des femmes libres qui mènent le négoce du sexe en « chef d’entreprise » où leur compagnon tient le rôle de collaborateur, d’intendant. La femme qui dans cette version de L’art des putes revendique ses droits et prend le dessus serait encore aujourd’hui dans certaines sociétés un modèle d’Eve future.

En ouvrant le spectacle Jose Luis Esteban met L’art des putes en perspective à la fois historique et littéraire, en évoquant Don Quijote de Cervantès et La Bible qui déborde d’histoires scabreuses. La mise en scène de Carlos Martin est percutante, efficace, économe de moyens. La scénographie ne figure rien, c’est un espace d’évocation, un terrain de jeu. Un univers empreint de signes et d’évocations poétiques des femmes. Juste quelques objets : tables, chaises, chaise à roulettes, lampadaire fait d’un buste de femme qui représente Dorisa, protagoniste de l’histoire, une paire de jambes avec des bas résilles avec lesquelles joue l’interprète, des moulages de torses de femmes qu’il manipule.

Jose Luis Esteban, narrateur du récit, incarne plusieurs personnages, se glissant avec finesse instantanément dans la peau d’une femme ou d’un homme. Il y a de la précision, de la justesse, de la légèreté et de l’humour dans son jeu très naturel, sans effets rajoutés, sans artifices.

Un spectacle qui ose aborder avec intelligence et humour, sans provocation ni agressivité la problématique des liens entre le sexe, l’Église et la politique, l’hypocrisie, les préjugés et l’obscurantisme toujours d’actualité dans notre société.

L’art des putes d’après Nicolas Fernandez de Moratin
dramaturgie et interprétation Jose Luis Esteban
mise en scène de Carlos Martin
production du Teatro del Temple de Saragosse

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Carlos Martin, metteur en scène, a fondé en 1994 avec Maria Lopez Insausti, productrice et Alfonso Plou, dramaturge, le Teatro del Temple à Saragosse. Ce théâtre dispose aujourd’hui d’un lieu Teatro de las esquinas (deux salles, une salle de répétition, un restaurant). Le Teatro del Temple a constitué depuis 20 ans un répertoire de créations d’auteurs depuis Cervantès, Shakespeare, Lorca, Valle Inclan à Beckett et Jordi Galceran.

Actuellement plusieurs productions sont à l’affiche et en tournée : Luces de bohemia de Ramon del Valle Inclan, El busconEl licenciado vidriera (Licencié de verre) de Cervantès, El arte de las putas (L’art des putes) de Nicolas Fernandez de Moratin et des spectacles tout public Casse-Noisettes et Peau d’âne.

www.teatrodeltemple.com


Biographie d’Irène Sadowska Guillon